« Le changement climatique n’est pas une opinion, la science n’est pas une opinion » L’Humanité

Lundi 9 Août 2021Marie-Noëlle Bertrand

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L’astrophysicien Pierre Léna nous rappelle ce qu’est la science, dans une période où elle se voit bousculée. Entretien.

La dernière période a mis en lumière une difficulté à partager les données scientifiques. Qu’est-ce que cela traduit ?

Pierre Léna Le jugement des Français sur les sciences est paradoxal. Les découvertes scientifiques les intéressent, et même les passionnent. Dans le même temps, le manque de confiance dans la science est manifeste. L’épidémie de Covid-19 l’a clairement renforcé. Celle-ci a donné à voir une science en train de se faire, une science qui n’a pas encore construit de solide, qui ne peut pas dire : voilà ce qui marche. Cette science en train de se faire est devenue sujet de conversation. On a assisté en direct aux hésitations, aux combats d’ego, les uns disant blanc, d’autres disant noir, sans que l’on sache qui croire. Cela a conduit à entretenir l’idée fausse que la science serait une opinion. Cela a également conduit à rendre invisible le processus de validation des connaissances. Le tout crée de la défiance.

S’est-il passé le même phénomène avec les sciences du climat, longtemps confrontées au doute quant à la réalité du réchauffement ?

Pierre Léna L’article fondateur de la problématique des gaz à effet de serre a été posé par Charney dans un rapport rendu en 1979. Il y décrivait déjà ce qui a été plus finement analysé au cours des quarante années suivantes. Il est naturel que ce qu’il avançait ait suscité le besoin d’être vérifié. Le Giec s’attache à le faire depuis sa création, en 1988. Mais ce qui était une intuition est devenu une connaissance solide. Le changement climatique n’est pas une opinion. La science, en général, n’est pas une opinion. C’est une construction laborieuse, collective, parfois hésitante, qui consiste à poser des hypothèses et à prendre le temps nécessaire pour les vérifier. Cette construction permet d’établir du vrai. Non pas la vérité, la science n’est pas dogmatique, mais de la vérité, c’est-à-dire des éléments solides sur lesquels s’appuyer. Lorsqu’on embarque dans un avion, nous faisons confiance à la mécanique des fluides, à la résistance des matériaux… cette confiance repose sur le fait que lorsque des données sont sérieusement établies, elles s’imposent comme une vérité. Il en va de même avec le climat : il s’impose tout autant que le fait qu’un avion vole.

Les débats restent vifs quant aux changements à opérer pour y faire face…

Pierre Léna La science, de nos jours, est une source majeure de transformation de nos sociétés. C’est singulièrement le cas avec le changement climatique. Ce qu’elle nous apprend appelle à faire des choix qui affectent nos modes de vie, de consommation, de mobilité. Or, cette transformation et la rapidité avec laquelle elle est appelée à se faire inquiètent. Pourtant, ces choix ne sont plus du ressort de la production du solide : ils appartiennent au domaine de l’éthique, de l’application, de l’agir, des valeurs et de la justice. Est-il juste ou injuste, humain ou inhumain de faire telle ou telle action ? Ce n’est pas à la science de dire s’il faut choisir entre l’explosion du nombre de réfugiés climatiques ou le maintien des profits de telle ou telle entreprise. La vaccination contre la Covid nous place de la même manière face à des choix déterminants. Celui, par exemple, défendu par l’OMS d’utiliser les capacités vaccinales mondiales pour soutenir les pays pauvres plutôt que pour assurer une 3e dose ou vacciner les enfants dans les pays riches. Tout cela relève d’un questionnement éthique. Il interroge des valeurs, qui elles-mêmes sont sources de choix politiques et économiques.

août 15, 2021