Recherche : la parole à un acteur
Dans un contexte où sont mis en concurrence entre eux les chercheurs, les équipes, les laboratoires, les universités, où l’austérité budgétaire pousse à jouer des coudes pour garder une place, des voix s’élèvent pour rappeler quelques vérités expérimentales
Parole aujourd’hui à Daniel BOUCHIER, chercheur émérite de l’Université Paris Saclay, ancien directeur adjoint de laboratoire :
Qui sont les passéistes ?
La création du CNRS en 1939 et sa prise en main par Frédéric Joliot Curie à la Libération, puis le passage de ses personnels sous le régime de la fonction publique en 1982, ont significativement réduit la toute-puissance du mandarinat dans la recherche publique. Elle s’est ainsi (heureusement) écartée du modèle anglo-saxon qui fait perdurer le mythe du Chercheur (avec un grand C) entouré de ses “assistants” recrutés pour une durée plus ou moins déterminée. Croyant eux aussi à cette vision passéiste, certains collègues ont prétendu et prétendent encore que, lorsqu’on a fonctionnarisé les chercheurs avec la bonne intention de les sécuriser, on a tué la recherche en France. Que dire de cette affirmation et quel est l’impact de ces croyances dans le logiciel de nos gouvernants ?
Précarité de l’emploi scientifique et mépris des jeunes
Lorsque l’on se penche sur le contenu de la Loi de Programmation de la Recherche du 24 décembre 2020, parmi tous les points d’achoppement qui ont légitimement ému la communauté scientifique, on peut en filigrane y déceler l’objectif à terme de conformer la recherche publique française à un modèle généralisant la précarité de l’emploi scientifique.
La LPR prévoit effectivement la possibilité pour les établissements d’avoir recours à ces inénarrables “contrats à durée indéterminée de mission scientifique”… qui s’achèvent avec la fin de la mission en question. Une autre “innovation”, les postes de “professeurs juniors”, qui vont représenter 15 à 20% des recrutements. Ceux-ci pourront accéder à un poste statutaire de professeur ou de directeur de recherche après une courte période probatoire. Le message envoyé à nos maitres de conférence et chargés de recherche est plutôt nauséabond : “vous avez fait des gros sacrifices pour entrer dans la recherche publique, en enchaînant post-docs ou CDD, en réussissant à un concours ultra-sélectif et en acceptant des salaires de misère, et bien, maintenant, on va embaucher des gens tellement brillants qu’ils occuperont les postes auxquels vous pouvez légitimement prétendre”…
Temps court et temps long
La recherche publique française serait à ce point sclérosée par le statut de fonctionnaire qu’elle ait besoin de renforts providentiels apportant les concepts nouveaux qu’elle ne saurait générer ? En tous cas, ce que montre l’expérience, c’est que les idées en rupture ne germent pas ex nihilo, mais du terreau théorique et expérimental soigneusement entretenu par des équipes travaillant sur le temps long. La recherche publique a bien sûr besoin de sang neuf, et il convient d’y attirer des talents de tous les horizons. Mais elle a aussi de grosses réserves : les centaines de docteurs qu’elle forme tous les ans. Elles et ils sont nombreux à présenter les qualités requises pour être de brillants chercheuses et chercheurs, à même d’émettre les idées les plus novatrices. Leur proposer des emplois courts, à cinq ans par exemple, serait peut-être soutenable dans un paysage où recherche fondamentale et recherche & développement seraient suffisamment perméables pour permettre la continuité de parcours professionnels mixtes. Mais cette vision idyllique relève du pur fantasme, là où Sanofi supprime par centaines des postes en R&D, où l’emploi des cadres est pollué par le court-termisme néo-libéral et par un recrutement fondé sur une endogamie institutionnalisée qui écarte trop souvent les jeunes docteurs.
Comment vivifier la recherche française ?
Si on demande comment amener la recherche française au niveau requis pour répondre aux grands enjeux auxquels nous sommes confrontés, la communauté scientifique connait la réponse à cette question : elle passe par un effort de financement comparable à ceux de l’Allemagne, de la Corée ou de la Chine, par un programme ambitieux de recrutement dans tous les corps de métier de l’Université et des organismes de recherche, par le financement récurrent des laboratoires, des allocations de thèse plus nombreuses et revalorisées, la garantie des libertés académiques. Libertés qu’il nous faut défendre d’urgence tant elles subissent actuellement des attaques sans précédent, orchestrées par des déclarations irresponsables au niveau gouvernemental, qui reprennent les délires de la droite plus ou moins extrême, tel l’islamo-gauchisme, actualisation du très maurassien judéo-bolchévisme des années 30. Encore plus grave, la LPR institutionnalise la caporalisation de la pratique scientifique, d’abord en remettant en cause nos instances représentatives et l’évaluation par les pairs, puis en fixant des limites à la liberté d’expression des chercheurs.
En guise de conclusion
C’est un euphémisme de dire que la LPR fait fausse route, alors que, pour parvenir à des choix collectifs éclairés et pertinents, pour construire l’avenir en ces temps de pandémie, d’urgence climatique et d’atteintes à la biodiversité, une démocratie bien comprise a besoin que l’Université et la recherche publique soient autonomes, ce qui ne peut être garanti que par des financements pérennes et un statut protecteur des scientifiques.
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