Omicron. L’école craque et les mensonges de Blanquer éclatent
Vendredi 7 Janvier 2022Olivier Chartrain L’Humanité
De la maternelle au lycée, la situation est vite devenue explosive depuis la rentrée pour les élèves, les familles et les personnels. Une réalité que le ministre de l’Éducation nationale a de plus en plus de mal à masquer. Encore moins avec son énième protocole, publié jeudi 6 janvier au soir. Des appels à la grève sont lancés pour le 13 janvier.
On a beau essayer, on ne trouve pas. On ne trouve pas d’autre mot pour qualifier tout ce qui remonte des écoles, collèges et lycées depuis le 3 janvier que celui-ci : le chaos. Et cela va bien au-delà des seuls problèmes posés par cette évolution du protocole sanitaire annoncée à la dernière minute, la veille de la rentrée – qui plus est dans un média privé et payant.Voir aussi : Covid. Omicron, étape vers l’immunité collective ou usine à variants ?
La très haute contagiosité du variant Omicron met tout le pays à rude épreuve, mais, à l’école, elle s’abat sur un système où des années d’austérité, d’affaiblissement dans tous les domaines démultiplient ses effets. Un peu comme à l’hôpital, un grand service public lui aussi en souffrance, lui aussi au bord de l’explosion. Ce n’est ni un hasard ni une coïncidence.
Quand il pleut, il est fréquent que les cours soient annulés…
Illustration en Seine-Saint-Denis. Jeudi 6 janvier, les enseignants des quatre collèges de Bobigny, la ville-préfecture aux plus de 50 000 habitants, étaient en grève. Parce que, dans ce département qui est le plus jeune et le plus pauvre de France métropolitaine, ils craquent.A lire aussi : Covid. Emmanuel Macron, « irresponsable » en chef
Submergés par la vague Omicron, mais pas seulement. Ainsi, quand on dit que le collège Pierre-Sémard craque, il faut l’entendre au sens littéral : cet établissement de construction récente mais en bois est en proie aux termites et s’effondre littéralement. Quand il pleut, il est fréquent que les cours y soient annulés.
Le collège Auguste-Delaune, pour sa part, a été bloqué dès lundi par les parents d’élèves et des professeurs, avec en tête des préoccupations, les problèmes de violence qui s’y posent depuis trop longtemps. Même motif au collège République, déjà en grève une semaine avant les vacances de Noël.
La vie scolaire sur le point de craquer
Anne Régnier est professeure de mathématiques (et membre du syndicat CNT) dans le quatrième collège de la ville, Jean-Pierre-Timbaud. Mercredi après-midi, elle a pris le temps de nous décrire la situation de son établissement face à l’épidémie – celle que connaissent, en vérité, la plupart des collèges et lycées de France.Nous vous conseillons aussi cet article : Éducation nationale. Sous le Préau, la privatisation
Au cœur du réacteur : la vie scolaire. CPE (conseillers principaux d’éducation) et AED (assistants d’éducation, les anciens surveillants) y assurent entre autres le pointage des absences et des retards ainsi que l’information aux familles – y compris pour la gestion des cas Covid et cas contacts –, la surveillance des entrées et sorties, de la cantine, des couloirs, des toilettes, de la cour, des salles d’étude… « Aujourd’hui, sur neuf AED, nous n’en avions qu’un seul, et il était cas contact, raconte l’enseignante. Nos deux CPE sont encore là, mais elles commencent à fatiguer. Ce sont elles qui assurent les entrées et sorties, du coup. » Pour la cantine, la direction de l’établissement se trouve dans l’obligation de « réquisitionner » le personnel administratif.
Oui, le ministre ment
Bien entendu, la vie scolaire n’est pas la seule touchée par les absences. Sur une quarantaine d’enseignants, une dizaine manque à l’appel, positifs ou cas contacts. Remplacés ? « On n’a jamais vu un remplaçant depuis le début de l’année ! » s’esclaffe Anne Régnier. Jean-Michel Blanquer aurait-il donc le front de mentir aux députés quand il leur assurait, ce même mercredi : « Nous sommes en ce moment en mesure de remplacer, avec bien entendu des exceptions, il y en a, je le reconnais » ? Oui, le ministre ment, car ses « exceptions » sont la règle. C’est particulièrement vrai en Seine-Saint-Denis, où, si l’embauche de contractuels est extrêmement courante, c’est pour les mettre sur des postes à l’année, rarement sur des remplacements.
Résultat : à Timbaud, quand un professeur manque, les élèves ne peuvent se rendre en étude, faute d’AED. « Ils se retrouvent tous dans la cour, qu’il pleuve ou qu’il vente, parfois à deux cents, pendant une heure, deux heures, surveillés par une seule personne », reprend la professeure de maths, qui relaie l’inquiétude de ses collègues : « Il n’y a pas assez de monde pour gérer les cas contacts, appeler les familles, leur répondre, les renseigner sur la procédure… La sécurité sanitaire des enfants et des personnels ne peut pas être assurée. »
Les retards individuels s’accumulent
La complexité de la procédure visant à maintenir l’apparence du dogme de l’« école ouverte », chère au ministre, avec son test PCR ou antigénique suivi d’autotests à J + 2 et J + 4, a aussi des conséquences pédagogiques : les élèves cas contact quittent la classe et reviennent… au compte-gouttes, le temps de faire les tests ou d’observer les périodes d’éviction. « Depuis le début de la semaine, je n’ai eu aucune classe en effectif complet, toujours quatre ou cinq absents au minimum », témoigne la professeure. La progression pédagogique est retardée, les retards individuels s’accumulent.
On voit des cas d’élèves qui viennent alors qu’ils sont symptomatiques, parce qu’ils ont peur de prendre du retard !
SOPHIE VÉNÉTITAY, secrétaire générale du Snes-FSU
Répétons-le : le cas de Bobigny n’est ni caricatural ni exceptionnel. Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le confirme : « Nos retours de terrain nous montrent une désorganisation totale, des établissements proches de l’implosion, où ça craque à tous les niveaux. » D’autant que, dans le secondaire, rappelle-t-elle, « depuis cinq-six ans, on ne remplace plus les absences de moins de quinze jours, ce qui aggrave les inégalités dans les apprentissages ».
Le report des épreuves de spécialité du bac demandé
Son syndicat, le premier dans le secondaire, demande d’ores et déjà le report des épreuves de spécialité du bac, prévues dans sept semaines de cours, à partir du 14 mars : « Les élèves concernés ont déjà passé la moitié de leur année de première en hybride, là, les cas positifs et les cas contacts partent, reviennent… il y a une évidente rupture d’égalité devant ces examens, dont le maintien entretient en plus une pression sur ces jeunes. On voit des cas d’élèves qui viennent alors qu’ils sont symptomatiques, parce qu’ils ont peur de prendre du retard ! »
Dans le primaire, ce n’est guère mieux. Le retard et le flou dans les consignes aggravent la désorganisation. Guislaine David, porte-parole du syndicat Snuipp-FSU, cite ainsi le cas de cet enseignant qui, avec un élève positif lundi, et sans réponse de sa hiérarchie ni de l’ARS sur l’attitude à tenir, a dû, pour éviter de créer un cluster, se résoudre à envoyer à 22 h 30 un mail aux parents de deux classes pour annuler le départ en classe de neige prévu le lendemain matin ! « Les directeurs, qui sont en classe de 8 h 30 à 16 h 30 comme les autres, ne peuvent pas gérer l’administratif, les cas contacts, les familles. Ils passent le peu de temps dont ils disposent à chercher des infos sur Internet… »
Certains recteurs se disent prêts à recruter… des parents d’élèves
Plus encore que dans le secondaire, les allers-retours des élèves positifs ou cas contacts handicapent la progression de la classe entière. Et le remplacement des professeurs absents est à peine mieux assuré : « Il arrive qu’on doive confier les classes aux Atsem (agents municipaux) ou aux AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap), relève Guislaine David, mais ce n’est pas réglementaire. Et les personnels municipaux ne sont pas épargnés par le Covid, donc le nettoyage-désinfection des locaux commence à avoir du mal à être assuré. On doit gérer un conflit permanent entre le protocole et la réalité. »
Alors que certains recteurs se disent prêts à recruter des contractuels à bac + 2, voire des… parents d’élèves titulaires d’un master, elle relève une contradiction béante : « Le ministre répète partout l’importance de l’école, des apprentissages, pour lutter contre les inégalités. En vérité, on recrute des gens juste pour garder les élèves, afin que les parents manquent le moins possible le travail ! »
Blanquer, « c’est un David Copperfield de bazar »
Cette réalité, sous-tendue par des années d’économies sur le dos de l’école – le Snes a calculé que les 7 500 postes supprimés depuis 2017 dans le secondaire équivalent à la disparition de 166 collèges –, c’est celle que le ministre connaît parfaitement, mais devant laquelle il joue les illusionnistes. « C’est un David Copperfield de bazar », tacle Rodrigo Arenas, de la FCPE : « Il a fait quoi depuis le début de la pandémie ? Pas d’aménagement des programmes, des examens aménagés à la dernière minute, aucune anticipation, et les élèves le paient cash. Il parle d’école ouverte mais dans la réalité, il organise la déscolarisation des enfants. »
Pour les syndicats : trop, c’est trop
Mais, on le sait depuis l’apparition de l’univers, le chaos peut être créateur. Après une réunion avec le ministère, jeudi 6 janvier, débouchant sur un énième aménagement du protocole, les syndicats ont commencé à trouver que trop, c’est trop. Dès vendredi 7 au matin, le Snuipp-FSU, dominant dans le primaire, appelait à une grève nationale « pour une école sécure sous Omicron », jeudi 13 janvier, en dénonçant « une pagaille indescriptible et un sentiment fort d’abandon et de colère parmi les personnels » qui « ne peuvent plus exercer correctement leurs missions d’enseignement ».
Peu après, le SE-Unsa lui emboîtait le pas, « pour faire entendre au ministre que l’école et ses personnels ne peuvent plus tenir ». Le Snudi-Fo n’a pas tardé à les rejoindre. En début d’après-midi, c’était au tour de la CGT Educ’Action d’appeler les personnels à se mobiliser à la même date, soulignant la « souffrance » de tous les personnels et rappelant qu’elle « a toujours déclaré qu’elle était favorable au maintien de l’ouverture des écoles mais pas à n’importe quel prix, et surtout pas au détriment de la santé et des conditions d’étude des élèves et des conditions de travail des personnels. »
Un peu plus tard c’est le Snes-FSU, majoritaire dans le secondaire, qui se lançait. « Comment croire à une quelconque considération pour notre système éducatif quand rien n’a été fait pour l’adapter à la crise sanitaire en 20 mois ? » demande le syndicat.
Dans ces conditions, l’intersyndicale prévue vendredi 7 au soir devrait permettre à ceux qui ne s’étaient pas encore positionnés de le faire, et à tous de s’accorder sur leurs revendications : report au nom des épreuves de spécialité du bac, recrutements de personnels, mesures de protection… Cette fois, pas sûr que quelques mensonges de plus suffisent au ministre pour échapper à ses responsabilités.