Ne pas lâcher le drapeau de la raison
Publié le Mardi 1 Février 2022 Sylvestre Huet
Le 15 janvier, l’Union rationaliste a remis son prix 2021 à Irène Frachon, en hommage à son combat pour dénoncer la responsabilité d’un médicament, le Mediator, dans de nombreux décès. L’histoire de la médecine est riche de traitements dont on découvre des conséquences dramatiques après usage. Mais le Mediator se caractérise par l’action du fabricant, la société Servier, pour en cacher la réalité. Et par l’incapacité de la structure d’expertise des risques des médicaments à identifier cet échec et à y mettre fin par son action réglementaire.
Fin mars 2021, Servier est reconnu coupable de « tromperie aggravée », condamné à une amende de 2,7 millions d’euros. L’Agence nationale de sécurité du médicament, jugée pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du Mediator, doit une amende de 303 000 euros. Servier est condamné à indemniser les victimes à hauteur de 180 millions d’euros. Il a fait appel. Ces dernières années ont vu des polémiques où la raison est invoquée pour fustiger l’adversaire. L’affaire du Mediator nous dit d’examiner avec soin les arguments de ces invocateurs. Car le drapeau de la raison peut masquer des intérêts financiers, politiques ou idéologiques dévastateurs. Or lâcher ce drapeau serait un désastre puisque cela reviendrait à fonder sa politique sur l’ignorance ou le refus de l’approche scientifique des réalités.
Examiner avec soin les arguments, c’est ce que réclament près de 60 % de Français qui observent… avec raison que les technologies issues des sciences sont ambivalentes et peuvent faire « autant de bien que de mal » (1). Donc, récuser les affirmations abstraites, instruire chaque dossier afin d’en conclure s’il faut ou non, et dans quelles conditions, utiliser une technologie. Cette instruction suppose compétence, indépendance vis-à-vis des intérêts en jeu, pluralisme, transparence. Ces qualités sont celles que l’on doit exiger des structures d’expertise chargées de conseiller les pouvoirs publics pour gérer les technologies. Qualités difficiles à réunir. Il faut donc soumettre régulièrement ces structures au regard critique de la société, de la presse, des citoyens. Quant aux responsables politiques, ils sont comptables de les instituer, de leur donner des moyens suffisants, d’y nommer les personnes aptes à cet exercice nécessaire et délicat. La manière dont ils exercent ces pouvoirs est un excellent moyen de les juger. Merci à l’Union rationaliste de nous le rappeler.