Mathématiques…
Qu’est ce que c’est ?
Le calcul est une partie des mathématiques au même titre que la logique, la géométrie, les probabilités, les statistiques… et certaines branches de la philosophie puisque les mathématiques ont beaucoup discuté de la notion d’infini, de la possibilité de mondes où la géométrie n’est pas celle qui régit notre espace « ordinaire » !
C’est donc un univers vaste qui ne peut pas se réduire à « savoir compter » ; d’ailleurs il y a longtemps (jusqu’en 1967) la classe terminale de lycée où on faisait le plus de mathématiques s’appelait « Math-Élem » c’est à dire mathématiques élémentaires : c’était l’année où on « commençait » les mathématiques !
L’image des mathématiques
Dans les médias, les mathématiques c’est savoir compter… parce que dans leur immense majorité les journalistes et bon nombre de politiciens n’ont jamais vraiment fait de mathématiques ! Les mathématiques sont souvent représentées comme difficiles, ésotériques, arides. On ne compte plus les animateurs et journalistes qui annoncent tout de go qu’ils étaient « nuls en math » et s’en glorifient. Dans les jeux radiophoniques les questions « mathématiques » sont considérées comme difficiles ou « casse-tête ».
Jusqu’à un ministre de l’éducation nationale qui a osé annoncé qu’on n’avait plus besoin de professeurs de mathématiques puisqu’on avait des calculettes !
Et à quoi ça sert ?
Pour créer des CD audio ou des DVD vidéo il a fallu être capable de décomposer les sons en une description numérique des fréquences : cette décomposition repose sur la technique d’analyse appelée « transformée de Fourier ».
Pour envoyer des satellites – qui nous permettent de recevoir des messages, du son et des images d’un bout du monde à l’autre, qui nous permettent aussi de mesurer la hauteur des océans – il faut être capable de calculer des trajectoires et les poussées des moteurs-fusée. Imaginez la précision de ces calculs pour faire atterrir un appareil de quelques dizaines de kilogrammes sur une comète à quelques dizaines de mètres près après un voyage de plusieurs centaines de millions de kilomètres !
Pour tracer les circuits routiers comme pour tracer les minuscules fils contenus dans un microprocesseur il faut trouver le trajet le plus efficace, le plus économique… et savoir si c’est possible.
Pour savoir si une centrale nucléaire peut être remplacée par des éoliennes ou des panneaux solaires, pour gérer le fragile équilibre entre production et consommation d’électricité (car on ne sait toujours pas stocker l’électricité !) il faut savoir prévoir, modéliser…
En fait, sans mathématiques, il n’y aurait ni distribution d’électricité à tous et à chacun, ni transports en voiture en train ou en avion, pas de réfrigérateur, pas de téléphone, pas de radio ni de télévision…
Toute la physique et la chimie utilisent les mathématiques, toutes les sciences économiques utilisent les mathématiques via les statistiques… et même les cinéastes avec leurs caméras et leurs traitements numériques du son et des images utilisent les mathématiques.
Pour qui ?
Bien sûr on peut se contenter d’utiliser les objets technologiques sans savoir comment ils fonctionnent : la plupart des conducteurs d’automobiles sont perdus lorsqu’ils ouvrent le capot et utiliser la télévision ne nécessite pas de connaissance en traitement du signal…
On pourrait alors se dire que seuls les ingénieurs et chercheurs qui créent ces objets ont besoin d’avoir les connaissances, oui MAIS il faut aussi parfois prendre des décisions politiques, et alors il serait bon que chacun comprenne les enjeux, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas pour choisir entre les discours politiques (dont certains sont parfaitement farfelus ! ).
On a entendu parler de « croissance exponentielle » pendant des mois à propos de la COVID19… mais qui sait ce qu’est une exponentielle ? Est-il plus raisonnable de dire qu’une augmentation de 10 à 20 est une croissance exponentielle plutôt qu’une augmentation de 10 à 11 ? Peut-être, ça dépend de la suite !
Les connaissances mathématiques font partie du bagage du citoyen du XXIème siècle, l’absence de ces connaissances rend dépendant, interdit de comprendre la société dans laquelle on vit.
Comment ?
Plus les horaires d’enseignement sont réduits plus cet enseignement repose sur les « à coté » (la famille, les cours particuliers, les cours supplémentaires…) donc plus il est sélectif et il ne s’agit pas de n’importe quelle sélection, c’est la pire : la sélection sociale. Depuis une quarantaine d’années, la réduction des horaires d’enseignement en mathématiques fait perdre l’équivalent d’une année entière de formation entre le collège et le lycée. Il faut inverser la tendance : augmenter les horaires pour que les enseignants aient le temps de traiter les thèmes du programme sans se presser ni bousculer les élèves. Il faut prendre le temps de jouer, d’assister à des conférences qui éveillent la curiosité.
Dès 1986, le colloque « Mathématiques à venir » présidé par Jean-François Mela et organisé dans les locaux de Polytechnique par la SMF et la SMI (les deux grandes sociétés de mathématiciens français) prévoyait un effondrement du nombre de professeurs de mathématiques et pour pallier ce manque il annonçait (en condamnant par avance) une réduction des horaires d’abord dans les sections littéraires (ce qui a eu lieu il y a une trentaine d’années) puis dans les autres sections ce qui est devenu criant avec la réforme Blanquer qui supprime purement et simplement l’enseignement des mathématiques dans le tronc commun dès la classe de première… et chacun sait que lorsqu’un élève est informé qu’il ne fera plus de mathématiques en classe de première il relâche ses efforts dès le milieu de la seconde !
En volume, le nombre d’heures allouées aux mathématiques a considérablement baissé. Selon le ministère de l’Éducation nationale, en 2018 il y avait un peu plus de 180 000 heures de cours de maths en première et en terminale, contre 150 000 en 2020, soit une chute de 18%. Quatre élèves de terminale sur dix ne font plus du tout de maths pendant leur dernière année de lycée.
Une étude statistique complète du recrutement des professeurs des écoles se trouve sur https://journals.openedition.org/ree/4459#tocto2n4 on y voit en particulier que le niveau des candidats au recrutement est plus faible qu’attendu surtout en mathématiques (les candidats ayant suivi une filière S ont davantage de chances d’être recrutés… mais ils sont nettement moins nombreux !)
Comment un professeur des écoles qui a suivi une filière sans enseignement de mathématiques ni de physique à partir de la seconde peut-il éveiller ses élèves à ces disciplines ? Si lui même ne prend pas de plaisir à ces matières, ou les ignore, il ne peut pas susciter l’intérêt.
Pour enseigner les mathématiques il faut les aimer – au moins ne pas les détester – et avoir le temps d’alterner les passages théoriques et pratiques avec des exemples. L’enseignement de la notion de suite numérique est un cas typique : si on ne voit que la théorie la plupart des élèves sont perdus par la technicité, si on alterne théorie et pratique, si on multiplie les exemples on les accroche de plus en plus… mais il faut pour cela que l’enseignant ait une culture étendue, qu’il ait lu des revues des articles pour connaître les domaines d’application qui pourraient illustrer la théorie et captiver les élèves ; cela nécessite une formation continue sérieuse ! Comment peut-on imaginer qu’un enseignant de mathématiques fasse toute sa carrière avec uniquement sa formation initiale quand les découvertes avancent à pas de géant ?
Que faire ?
D’abord augmenter les horaires de la discipline pour avoir le temps de comprendre et d’expérimenter.
Hélas pour augmenter les horaires il faut des enseignants et pour recruter des enseignants il faut les former et les payer… les former c’est long, les payer c’est cher !
Il y a 50 ans, il y avait, dans la fac d’Orsay, 3 amphis de 200 étudiants en première année MP (math-physique. Aujourd’hui il y a moins de 200 étudiants en première année en totalisant les licences de l’école universitaire (75 places) et celle des « double-diplômes » de math-physique (50 places), de math-informatique (50 places) et de math- et applications (25 places) : et sur 200 étudiants une part n’arrivera pas au bout et ceux qui arriveront au bout ne deviendront pas tous enseignants parce qu’il pourront trouver d’autres emplois bien mieux rétribués. En maintenant la politique actuelle de financement, le recrutement d’enseignants en nombre n’est pas pour demain !
Ensuite organiser pour les élèves (dès le collège) des conférences informatives et ludiques sur des notions en dehors des domaines testés : la discipline peut être rendue attrayante si on ne vise pas tout de suite le contrôle des connaissances.
Les sujets sont nombreux qui sont susceptibles d’être exposés et de provoquer l’intérêt. Plusieurs sites sur l’internet (via YouTube hélas !) proposent ce genre de conférences mais sans un suivi, sans une reprise en classe elles n’ont pas l’efficacité qu’elles pourraient avoir. Il faudrait qu’elles soient organisées dans le cadre scolaire mais là encore il faut des intervenants formés à la pédagogie (car la pédagogie ça s’apprend).
En résumé on sait ce qu’il faut faire… il faut s’en donner les moyens ! Sans un effort important et de longue haleine pour former et payer les enseignants, les mathématiques resteront une discipline désertée et la réindustrialisation de notre pays est illusoire. Espérons qu’un changement politique radical fasse qu’on n’en soit plus là dans 20 ans.
Georges Vincents
Enseignant de mathématiques
10 ans en collège, 12 ans en lycée et 16 ans en IUT