« Risque sérieux de génocide » à Gaza : notre analyse de la décision de la Cour internationale de Justice Pierre Barbancey L’Humanité
L’organe supérieur de la justice de l’Organisation des Nations unies estime que des mesures conservatoires doivent être prises face à la situation de la population de l’enclave palestinienne soumise aux bombardements et au bord de la famine. Une décision historique même si aucun cessez-le-feu n’a été ordonné.
Jamais sans doute une décision de la Cour internationale de justice (CIJ) n’était aussi attendue à travers le monde. Saisi à la fin du mois de décembre par l’Afrique du Sud, l’organe judiciaire suprême des Nations unies devait statuer, dans un premier sur les mesures conservatoires demandées face à un possible génocide en cours dans la bande de Gaza. Les plaidoiries de l’accusation et la défense israélienne s’étaient déroulées les 11 et 12 janvier.
Le risque de génocide enfin reconnu
Il aura donc fallu seulement quinze jours aux 17 juges de la CIJ pour se prononcer. Par la voix de sa présidente, Joan Donoghue, celle-ci a effectivement reconnu qu’il existe un « risque sérieux de génocide » et qu’il était urgent de prendre des mesures conservatoires pour défendre la population palestinienne de Gaza et préserver ses droits. Une décision historique même si la Cour n’a pas jugé utile d’ordonner un cessez-le-feu, mesure la plus utile pour éviter un génocide.
Il est cependant intéressant de constater que le juge israélien a voté pour la mesure rappelant l’obligation faite à Israël de respecter la convention de 1948 sur le génocide. Ce qui revient à reconnaître ce risque de génocide. Israël doit prendre « toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide », a souligné la CIJ.
En moins d’une heure, la présidente Joan Donoghue a redonné ses lettres de noblesse au droit international bien malmené jusque-là. Elle a donné les arguments expliquant les décisions de la Cour. Elle a situé le contexte dans lequel la Cour avait été saisie, notamment l’attaque par le Hamas et d’autres groupes palestiniens en Israël qui a fait 1 400 morts et 240 otages puis « l’opération militaire de grande envergure » de l’armée israélienne. Elle a dit combien la CIJ avait « conscience de la tragédie humaine en cours dans la région ».
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Étudiant plus précisément les accusations formulées par l’Afrique du Sud, elle a notamment longuement cité les déclarations de plusieurs dirigeants israéliens, dont l’actuel ministre de la Défense, Yoava Gallant, parlant des Palestiniens comme des « animaux humains », le même prévenant « nous détruirons tout » ou encore le président israélien qui s’en prenaient aux civils palestiniens accusés de soutenir le Hamas dans son attaque du 7 octobre.
La magistrate donnait également lecture de la définition du génocide tel que voté par l’Onu et contenu dans la Convention de 1948 qui précise que « le génocide s’entend d’un certain nombre d’actes commis dans l’intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
L’important étant évidemment le « en partie ». Elle rappelait les plus de 25000 morts, les 360000 logements détruits et les 1,7 millions de Palestiniens déplacés dans la bande de Gaza. Elle reprenait les déclarations du secrétaire général de l’Onu, celles du directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que les paroles terribles du commissaire général de l’organisation des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini de retour de l’enclave palestinienne. « Chaque fois que je me rends à Gaza, je vois de mes yeux les habitants s’enfoncer toujours plus dans le désespoir, luttant chaque minute pour leur survie. »
Le droit d’être protégé
C’est ainsi que « la Cour est d’avis que les faits et circonstances mentionnés ci-dessus suffisent pour conclure qu’au moins certains des droits que l’Afrique du Sud revendique et dont elle sollicite la protection sont plausibles. Il en va ainsi du droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes visés à l’article III et du droit de l’Afrique du Sud de demander qu’Israël s’acquitte des obligations lui incombant au titre de la convention », affirme la CIJ.
Une fois les « risques de génocide » déclarés, il convenait de définir les mesures conservatoires. Joan Donoghue insistait sur le fait que la Cour n’avait pas obligation, en la matière, de suivre les demandes de l’Afrique du Sud, en l’occurence, un arrêt de l’agression israélienne contre la bande de Gaza. Il a été décidé qu’Israël doit, « conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants : a) meurtre de membres du groupe, b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, et d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe. »
La Cour considère également qu’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide et « doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence. » Enfin, Israël est tenu de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve » concernant un possible génocide.
Un mois pour appliquer les mesures
Israël doit fournir à la CIJ un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour exécuter la présente ordonnance dans un délai d’un mois. Un rapport qui sera attendu avec impatience. Mais c’est bien la première fois qu’Israël se trouve ainsi sous le coup d’une sanction internationale. Animateur de l’Initiative nationale palestinienne, le docteur Mustapha Barghouti a déclaré sur x (ex-Twitter) : « Nous assistons à la fin de l’impunité illégale israélienne devant le droit international qui a duré 75 ans. » Et le ministre palestinien des Affaires étrangères, Riad al-Maliki s’est félicité « des mesures conservatoires prononcées par la Cour internationale de justice ».