Comment combattre Amazon (L’Humanité)
Comment combattre Amazon, ce géant qui dévore tout
Lundi 16 Novembre 2020 Pierric Marissal
Entre ses pratiques anticoncurrentielles et ses politiques antisociales, la firme de Jeff Bezos commence à faire l’unanimité contre elle. Des voix s’élèvent pour mettre fin à ses abus et proposent des régulations, voire une prise de contrôle public.
Amazon ne peut plus engranger ses milliards en paix. Le moment y est pourtant propice. Avec la fermeture des magasins et des rayons des grandes surfaces dits « non essentiels », le géant du commerce en ligne a de quoi rafler la mise, d’autant que le Black Friday et ses soldes monstres sur le Web pointent à l’horizon, sans compter Noël et ses cadeaux. Mais la fronde de ses salariés exploités, des petits commerces à l’agonie et une volonté régulatrice inédite de la part des autorités états-uniennes et européennes ont subitement fait vaciller ces astres alignés.Lire aussi : Commerces. Contre Amazon, une offensive inédite
La semaine dernière, c’est Bruxelles qui a dressé au spécialiste des entrepôts géants une liste édifiante de griefs sur ses « pratiques anticoncurrentielles ». Il y a de quoi : Amazon s’est fait une spécialité de scruter ce qui se vend le mieux sur sa plateforme parmi les produits mis en ligne par les dizaines de milliers de petites et grandes entreprises, puis de les copier sous sa propre marque, Basics, et d’user de sa position dominante pour les mettre en avant sur sa place de marché au détriment des autres. « Les données sur l’activité des vendeurs tiers ne doivent pas être utilisées au profit d’Amazon lorsque celle-ci agit en tant que concurrent de ces vendeurs. Les conditions de concurrence sur la plateforme Amazon doivent également être équitables », a insisté Margrethe Vestager, de la Commission européenne. De son côté, cet été, le Congrès américain a produit un rapport de 450 pages proposant de casser la domination économique des Amazon et autres Google, Apple, Facebook et Microsoft.
Récolte et revente de données
« À force de déréguler, le néolibéralisme a permis de faire émerger ces oligopoles d’une taille et d’une puissance inédites, les Gafam, qui vont à l’encontre de la sacro-sainte doctrine de la concurrence libre et non faussée sur laquelle était basée la vision libérale du marché il y a encore quarante ans », analyse Nikos Smyrnaios, maître de conférences à Toulouse-III et auteur des Gafam contre l’Internet : une économie politique du numérique.Cet article pourrait aussi vous intéresser : Bourse. Les Gafam au bonheur des ultra-riches
Au sein de ces mastodontes, Amazon tient une place toute particulière. 40 % de l’argent dépensé en ligne aux États-Unis l’est sur Amazon, qui y détient 40 % du marché total du livre, 90 % de celui de l’e-book. La place de marché est un énorme aspirateur à données. La multinationale connaît le nombre de produits commandés et expédiés, ce que cela rapporte aux revendeurs, le nombre de visites sur chaque produit, les réclamations des consommateurs, y compris les garanties activées… Ce qui lui permet d’optimiser ses propres produits. Elle agit aussi comme un courtier en données qui peut les revendre à des tiers. En outre, le groupe est un fournisseur d’infrastructures numériques avec Amazon WebServices. Il est devenu le premier acteur mondial du « cloud », avec 30 % du marché.
Le groupe double son service de livraison en 24 heures avec une offre de vidéos en streaming. Résultat : près de la moitié des foyers américains sont abonnés à Prime. NIKOS SMYRNAIOS
« Et puis Amazon use de la vieille stratégie monopolistique de la vente liée. Le groupe double son service de livraison en 24 heures avec une offre de vidéos en streaming, poursuit Nikos Smyrnaios. Résultat : près de la moitié des foyers américains sont abonnés à Prime. » Pour le chercheur, la nuisance d’Amazon va plus loin que les problèmes de libre concurrence. « Aux États-Unis, le capital n’investit plus dans une entreprise quand elle risque de se retrouver sur le chemin d’un Amazon ou Google. Le financement des start-up a donc baissé de 20 % depuis 2012 », assure-t-il. Autre originalité, et pas des moindres, non seulement les Gafam ont capté l’essentiel des échanges marchands en ligne, mais ils ont aussi fait main basse sur la transmission de l’information, « écrasant » là encore le traditionnel journal de 20 heures.
Tendre vers le bien commun
Tout cela a suffi pour inquiéter les économistes, y compris les plus orthodoxes. Les solutions de régulation ou de démantèlement, qui sont actuellement sur la table chez le législateur, restent dans une logique de préservation de la libre concurrence. Un rapport du Conseil d’analyse économique paru fin octobre va aussi dans ce sens. Il pointe quelques mesures pour modifier les pires comportements d’Amazon : interdire la vente liée, l’obliger à fournir ses données aux vendeurs tiers… Et si cela ne suffit pas, pousser vers la séparation des activités de place de marché et de vente de détail. La candidate à l’investiture démocrate Elizabeth Warren propose d’aller plus loin avec le concept de « platform utilities ». Il s’agit non seulement d’interdire aux détenteurs de places de marché d’y vendre quoi que ce soit, mais aussi de leur conférer comme une mission de bien commun, voire de service public, en les obligeant par exemple à être compatibles – ou interopérables – avec les autres plateformes.Lire aussi : Une taxe exceptionnelle pour contraindre Amazon à la solidarité avec les commerces de proximité
Une notion que Nikos Smyrnaios voudrait étendre. « La gauche doit sortir de ce carcan qui dit que le bien commun passe par la libre concurrence. Une prise de contrôle public de ces places de marché est envisageable. Il faut penser un mode de gouvernance qui introduirait un contrôle politique au nom de l’intérêt général au cœur de ces entreprises. » Cela existe déjà sur des plateformes, mais à petites échelles, qui se constituent en société coopérative ou sortent de la logique purement marchande. Le chercheur invite à inventer une nouvelle forme de gouvernance, une nouvelle forme de service public à grande échelle. « Amazon, nous mène vers une forme d’économie dirigée, mais contrôlée par Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde. C’est une sorte de socialisme à l’envers. »
Amazon détruit les emplois et aussi le climat
Lundi 16 Novembre 2020
Latifa Madani
Contre le géant du commerce en ligne, prédateur de l’environnement, le mouvement climat prévoit une semaine de mobilisations.
La multinationale de Jeff Bezos mise sur une bonne dizaine de méga-entrepôts supplémentaires en France d’ici à 2021 et sur l’extension de sites. Cela aurait pour conséquence, alerte l’ONG les Amis de la Terre, d’artificialiser plus de 1,4 million de mètres carrés, de faire exploser l’empreinte carbone de la France avec l’importation de plus de 1,3 milliard de produits supplémentaires par an. Une bombe climatique lorsqu’on sait que les marchandises sont transportées par avion, livrées par camion, et que des tonnes d’invendus sont à gérer et à détruire.
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Collectifs locaux et ONG environnementales ont fait de la lutte contre Amazon l’une de leurs batailles centrales. Des mobilisations sont prévues dès le 17 novembre, nouvelle journée d’action contre la réintoxication du monde, à l’appel notamment d’Attac, Youth for Climate et Alternatiba, jusqu’au 27 novembre, jour du Black Friday. La campagne « Stoppons l’expansion d’Amazon », coordonnée par les Amis de la Terre, vise à « empêcher la multinationale de doubler son activité en France, et d’asseoir son monopole ».
Citoyens et élus contre les projets d’extension sur le territoire
Le 17 novembre, un rassemblement, validé en préfecture, est organisé contre l’implantation à Montbert, près de Nantes (Loire- Atlantique), d’une base logistique XXL de 184 000 m2. Déterminé, le collectif Stop Amazon 44, soutenu par plus de 300 élus et personnalités, entend s’inscrire dans la dynamique des victoires arrachées à Strasbourg et bientôt, probablement, à Rouen et dans le Gard.
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Amazon vient de connaître, en effet, quelques revers. Le 5 novembre, après de fortes pressions des citoyens et des élus contre un projet d’entrepôt de 19 hectares à Ensisheim (Haut-Rhin), le directeur général d’Amazon France annonçait que son entreprise n’avait jamais eu de projet en Alsace. La veille, la mairie de Strasbourg et l’Eurométropole exprimaient leur soutien aux opposants après avoir alerté la préfecture sur les « impacts négatifs directs qu’un tel projet engendrerait sur l’emploi et sur le plan climatique ».
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À Rouen, le projet de hangar, sur 160 000 m2, du géant de l’e-commerce, est en passe d’être retoqué. La métropole de Rouen Normandie s’y oppose, s’appuyant notamment sur les rapports très négatifs des services d’incendie et de secours et de la mission régionale d’autorité environnementale.
Enfin, dans le Gard, la station logistique d’Amazon, qui devait être livrée en juin 2019, sur 39 000 m2, entre Nîmes et Arles, parmi les trois plus importantes d’Europe, est en butte à des ennuis judiciaires et à une fronde qui ne cesse de monter de toute part. Lors de l’enquête publique, le projet avait mobilisé contre lui 93 % des contributeurs.