Les méthodes du Je et du Nous
Publié le Mardi 15 Février 2022 Sylvestre Huet L’Humanité
Je pense que. La Science dit que. Nous pensons, pour le moment, que. Parmi ce trio, que préférez-vous ? Le scientifique qui exprime sa conviction personnelle ? Une vision abstraite de Madame la Science qui détiendrait la Vérité ? Un collectif qui expose prudemment ses dernières conclusions ?
Le rédacteur en chef de CNews, comme l’individu en quête d’un gourou vont préférer le Je. Gros titres, grosses ventes, gros succès sur YouTube (exemple : Didier Raoult, dont les propos ont conduit à des comportements à risques mortels face au Covid). Le dogmatique, en quête de certitudes rassurantes, se mettra sous l’égide de Madame la Science, les questions et les incertitudes l’inquiètent. De facto – même s’il y existe des partisans des deux premières –, la communauté scientifique pratique tous les jours la règle n° 3.
Pour qu’un résultat, une théorie, une observation soient considérés comme « vrais jusqu’à démonstration du contraire », les scientifiques exigent qu’ils soient vérifiés plusieurs fois, par des équipes différentes, si possible avec des méthodes différentes, et que méthodes et résultats soient ouverts, réutilisables, donc susceptibles d’être réfutés ou confirmés. Une avancée scientifique n’est considérée comme vraie qu’à ces conditions. Et vrai, en sciences de la nature (physique, chimie, biologie, sciences de la Terre et de l’Univers) signifie modestement « plus proche du réel que la conclusion précédente ». Le résultat paradoxal de cette modestie est déjà immense, le monument du savoir existant si vaste qu’il en est devenu impossible à maîtriser par un quelconque individu, fût-il prix Nobel.
Cette méthode est un guide précieux pour le non-spécialiste, donc tout le monde, du citoyen au président de la République en passant par le journaliste et les spécialistes d’un petit bout de science que sont les scientifiques. Elle lui indique que la meilleure manière de profiter de ce savoir est de privilégier les partisans et artisans du Nous : les scientifiques qui expriment le mieux la conclusion collective du moment. Ceux qui disent Nous plutôt que Je. Et lorsqu’ils s’y mettent à plusieurs pour le dire, c’est encore mieux, comme le montre le Giec pour l’évaluation du changement climatique provoqué par nos émissions de gaz à effet de serre. Cette méthode nous dit aussi qu’une politique scientifique privilégiant les collectifs plutôt que les « meilleurs » – donc l’inverse de celle promue par le gouvernement – sera plus efficace.