Présidentielle. Les paysans sceptiques face aux candidats
LA CAMPAGNE VUE DE… Alors que le conflit ukrainien les menace directement, les agriculteurs, minés par un modèle à bout de souffle, n’attendent pas grand-chose de la présidentielle. Ils sont nombreux à penser qu’aucun des candidats ne peut les aider contre la grande distribution qui fixe les prix.Publié leSamedi 5 Mars 2022 Emilio Meslet
Les deux pieds solidement plantés dans le foin et les bras croisés, Pascal Langevin, 62 ans, secoue la tête l’air blasé. L’éleveur de bovins dans la Sarthe toise la meute de caméras et de micros tendus qui déboule brutalement devant son emplacement, sans le moindre égard pour les badauds. Au centre de l’attention, un homme très grand, encravaté, attire les regards interloqués. Il semble connu mais tout le monde ne l’identifie pas. Pascal Langevin, si : « Ah… c’est Yannick Jadot »,lâche, sans enthousiasme, celui venu exposer Océan, son taureau charolais pesant 1,5 tonne, au Salon de l’agriculture. Pour lui, le candidat écologiste à la présidentielle n’est pas particulièrement le bienvenu. Pas plus que les autres à qui il n’a « rien à dire ». « Tous les cinq ans, les politiques se rappellent qu’on existe. Le reste du temps, ils nous oublient », commente-t-il, les sourcils froncés.
Peu d’électeurs de gauche
Très clairement, Pascal Langevin ne glissera pas un bulletin Yannick Jadot dans l’urne le 10 avril prochain. « Parce que s’il fait ce qu’il dit, que du bio, il va vite devoir prendre le téléphone : “Allô le Brésil ? Vous pouvez nous nourrir ?” » Il ne prendra pas non plus celui d’Anne Hidalgo, « même s’il faut la sauver », ironise-t-il. Loin d’appartenir à une « gauche bobo », l’agriculteur votera « rouge vif », et donc « Fabien Roussel ». Le seul qui parle au monde agricole et pas seulement aux éleveurs de « races de sauvegarde » comme le prétendant EELV, selon lui. Rieurs, deux de ses compères ajoutent : « Mais, dans le 72, il n’y a que lui qui est de gauche ! »
Lorsqu’on parcourt les longues allées de l’édition « des retrouvailles » du Salon de l’agriculture 2022, il est difficile de trouver d’autres électeurs de gauche parmi les paysans. Une observation qui coïncide avec les intentions de vote pour le scrutin d’avril, mesurées par Ipsos-Sopra Steria : 25 % d’entre eux prévoient de donner leur voix à Emmanuel Macron, 20 % à Eric Zemmour et 15 % à Valérie Pécresse.
« On se sent délaissés. Je pense que je voterai blanc », assure Jean-Michel, éleveur du Puy-de-Dôme. Loin d’être dépolitisé, il a longtemps été adjoint au maire dans sa commune. Mais il n’y croit plus : « Ils ont tous des promesses mais on sait bien qu’ils ne pourront pas les réaliser. Alors à quoi bon ? » Tous ou presque observent avec une grande défiance le défilé des candidats à la présidentielle qui, à l’exception de Jean-Luc Mélenchon, ont chacun fait le déplacement pour s’afficher avec les ruraux qui nous nourrissent. « Mais s’ils ne venaient pas, on le leur reprocherait aussi… », nuance Jacky Plançon, président du syndicat du bœuf de Charolles. Ce dernier votera « pour le président sortant » car « il a plutôt bien fait les choses et s’il arrive à faire ce qu’il veut, il sera très fort ». Il cite les lois Egalim 1 et 2, censées améliorer les rémunérations, parmi les succès d’Emmanuel Macron bien qu’elles soient contestées.
« Bosser pour deux ou trois euros de l’heure »
D’autres sont plus réservés sur son bilan. C’est le cas de Benoît Versluys, éleveur de bovins en Seine-Maritime, qui n’a pas pu approcher le chef de l’État lors de sa venue pour l’inauguration du Salon. Cet électeur de François Fillon en 2017 aurait aimé lui dire : « Je voudrais être plus soutenu. Est-ce que vous voudriez bosser pour deux ou trois euros de l’heure ? » « Évidemment qu’il aurait répondu que non »,avance Benoît Versluys. A priori, il votera quand même pour l’actuel président car « Zemmour est un extrémiste » et qu’une vidéo de Valérie Pécresse « où on la voit tourner les talons face à un agriculteur qui lui expose ses problèmes » le dissuade de voter LR. Sur le conflit en Ukraine qui impactera profondément les éleveurs français car le cours des céréales va exploser, « Macron a une stature que n’ont pas les autres », conclut-il.
Comme nombre de ses collègues, le Normand qui produit du lait accuse un acteur de la filière agroalimentaire d’être à l’origine de tous les maux. Pris en tenaille par le conflit ukrainien et la nécessaire bifurcation écologique, les agriculteurs craignent pour l’avenir. D’autant plus que les grandes surfaces fixent les prix d’achat de leurs produits. « Ce sont eux le problème : ils font la loi et leurs propriétaires financent les campagnes électorales, pense Jean-Michel. Or, une fois élu, on ne mord pas la main qui nous nourrit ! » « Aucune ne veut faire exploser le panier de la ménagère alors on laisse le pouvoir à la grande distribution. Ils trouveront toujours moins cher ailleurs, ils nous tiennent », ajoute Paul Boëdec, éleveur porcin Label rouge du Finistère et maire divers droite de Landrévarzec. Dans l’expectative sur son vote, lui-même n’a parrainé aucun candidat : « Entre eux et nous, il y a un fossé. Aucun n’est à la hauteur », justifie-t-il. Un sentiment partagé dans le monde agricole : 45 % des agriculteurs ne savent toujours pas s’ils se déplaceront aux urnes.