La gauche est-elle prête à conquérir le pouvoir ?
Bayou, Faure, Panot et Roussel débattent
Débat. Les principales figures des partis de la Nupes ont débattu ensemble de l’avenir de la coalition, samedi 10 Septembre, à l’Agora de l’Humanité. Toutes misent sur une mobilisation commune au Parlement et dans la rue pour proposer une alternative radicale à Emmanuel Macron.
Ce débat a réuni :
- Julien Bayou, secrétaire national d’EELV,
- Olivier Faure, premier secrétaire du PS,
- Mathilde Panot, présidente du groupe des députés FI,
- Fabien Roussel, secrétaire national du PCF.
Samedi 10 Septembre 2022
Dans une enquête Ifop publiée ce week-end dans l’Humanité, 63 % des personnes de gauche estiment que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) est une coalition électorale « amenée dans le futur à se désunir et même à disparaître ». Julien Bayou, que leur répondez-vous ?
Julien Bayou Je peux comprendre ces doutes. Mais la Nupes est solide, même si nous sommes face à de grandes menaces : l’extrême droite, le défaut d’anticipation du gouvernement d’événements climatiques comme la sécheresse et la canicule… Nous avions pourtant alerté pendant la campagne des législatives. Mais ils ont choisi de ne rien faire. Dans les mois et les années qui viennent, il va falloir choisir de mettre la santé, le bien-être, la protection de l’environnement, l’émancipation, les protections sociales au-dessus de la liberté d’entreprendre et des profits de quelques-uns.
Olivier Faure Depuis longtemps, il y a une aspiration très forte dans le peuple de gauche à l’unité. Quand la gauche est divisée, le résultat est mécanique : ce sont toujours les libéraux qui l’emportent. Et ceux qui nous menacent maintenant, c’est aussi l’extrême droite. Quand, dans cinq ans, Emmanuel Macron aura mis ce pays au bord de l’implosion, qui sera l’alternative ? Notre responsabilité, c’est de faire en sorte que ce soit la gauche et les écologistes, et personne d’autre. On sait que les enjeux qui sont devant nous ne peuvent pas attendre.
Fabien Roussel Pour moi, le sujet qui importe, c’est : quand est-ce qu’on va gagner et pour mettre quel projet en place ? Oui, la gauche va gagner. Mais ce que nous voulons, ce n’est pas une alternance, c’est une alternative radicale, un changement de société pour mettre l’argent et nos richesses au service du développement humain, au service de la planète. Les élections présidentielle et législatives nous ont permis d’avancer dans ce sens. La prochaine fois, il nous faut cette majorité indispensable pour reprendre le pouvoir. Aujourd’hui, le verre est à moitié vide car qui, à gauche, peut se satisfaire que l’Assemblée nationale compte 89 députés d’extrême droite ? Qui peut se satisfaire qu’aux législatives 26 millions de nos concitoyens n’ont pas voté ?
Mathilde Panot Sur cette question de faire revenir le peuple à la politique, je suis fière d’être présidente d’un groupe parlementaire qui compte des travailleuses et des travailleurs comme Rachel Keke, Mathilde Hignet, Sébastien Delogu, Carlos Bilongo ou encore Caroline Fiat. Nous sommes en tête chez les précaires et les chômeurs, chez les femmes, chez les jeunes. Luttes sociales, écologistes, antiracistes, féministes, LGBTQI +… il faut travailler à l’intersectionnalité pour unir la majorité sociale de ce pays qui est en train de souffrir pendant que tant d’autres se gavent. Et puis, je le dis avec fraternité puisque nous sommes là pour débattre : nous ne pouvons pas combattre ni les libéraux ni l’extrême droite en reprenant leurs mots. L’assurance-chômage et le RSA sont une grosse bataille de la rentrée. Ce sont des conquêtes sociales que l’on doit notamment au camp communiste et à la CGT.
Fabien Roussel La place du travail est une question essentielle pour notre pays, pour chacun et pour la gauche. Le rapport entre capital, profits et salaire est au cœur du combat à mener tous ensemble. Nous, communistes, défendons un projet de société dont l’objectif révolutionnaire est d’éradiquer le chômage et la pauvreté en assurant à chacun, tout au long de sa vie, un emploi ou une formation avec un salaire garanti et des cotisations sociales. Il faut redonner du sens au travail. Est-ce qu’on se lève le matin pour subir l’exploitation et pour gaver de dividendes des actionnaires ? Ou pour répondre aux besoins du pays, en produisant des voitures, de l’électroménager ou de la nourriture ? Pourquoi se lève-t-on le matin quand on travaille dans un service public ? Parce qu’on est animé par une vocation, une passion. Mais, aujourd’hui, cette vocation, cette passion sont abîmées par les politiques d’austérité.
Les classes populaires sont celles qui s’abstiennent le plus. En 2011, la fondation Terra Nova estimait que « la classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche et n’est plus en phase avec ses valeurs ». Partagez-vous cette analyse ?
Olivier Faure Terra Nova a toujours été une fondation indépendante du PS et nous n’avons jamais considéré cette note comme fondant notre propre stratégie électorale. Mais il existe en effet une difficulté avec une partie importante des classes populaires qui s’abstient ou ne choisit pas la gauche, voire se réfugie dans le vote d’extrême droite. Je le vois dans ma circonscription, certains me disent : « Monsieur le député, moi, je paye des impôts, mais qu’est-ce que j’y gagne en retour ? » Ils estiment qu’ils payent pour d’autres. Et l’« autre », c’est toujours celui qui refuserait le travail, donc il ne faudrait plus cotiser pour la collectivité. Je leur réponds : « Ne vous trompez pas de combat. Il y a des boucs émissaires faciles. L’argent n’est pas dans la poche de votre voisin de palier mais dans la poche de celui qui est socialement tout en haut et que vous ne voyez plus. Si vous voulez vous battre efficacement, battez-vous avec nous pour que le service public revienne dans votre collectivité. »
Vous plaidez pour lutter à la fois contre la fin du monde et contre les fins de mois difficiles. La droite oppose les deux, en parlant d’écologie punitive. Comment convaincre de l’imbrication de la justice climatique et de la justice sociale ?
Julien Bayou L’écologie punitive, c’est le terme de l’adversaire, du déni. C’est l’inaction écologique qui est punitive. La rénovation thermique permet une économie très concrète sur les factures. Et on pourrait dire « m… » à Poutine et à son gaz, et créer de l’emploi. Mais pour créer du consentement à la transition écologique, les efforts doivent être partagés. On ne peut pas en exonérer les plus riches.
Le socle de cette coalition, c’est le programme commun que vous avez porté pour les législatives. Mais des divergences demeurent…
Mathilde Panot C’est la force qui a fait l’union, et maintenant l’union doit faire la force. Les divergences, on les a inscrites dans le programme, on ne les a pas cachées. C’est une richesse d’avoir réussi à se mettre d’accord sur un programme, et de renvoyer à l’Assemblée nationale ou au référendum le soin de trancher nos désaccords sur les grandes questions.
Olivier Faure Oui, nous avons des désaccords, des nuances. Si ce n’était pas le cas, on serait tous dans le même parti. Ça ne me pose aucune difficulté. La vraie difficulté, c’est l’expression qui cherche à faire trébucher le voisin plutôt qu’à dépasser nos contradictions.
47 % des personnes de gauche interrogées dans notre sondage Ifop estiment que cette coalition peut arriver au pouvoir dans les prochaines années. Quel message adresseriez-vous à ceux qui doutent ?
Julien Bayou Pour l’emporter, il faut un adversaire passablement affaibli et disqualifié, c’est Emmanuel Macron. Je ne vais pas vous dresser le bilan sur les services publics, la justice sociale ou sur l’écologie. Son propre haut conseil pour le climat considère qu’on accuse un retard coupable. Il faut aussi une majorité culturelle : 47 %, c’est bien comme score. Mais les taux d’adhésion sont encore meilleurs concernant la taxation des superprofits pétroliers et gaziers, la rénovation thermique, la lutte contre le dérèglement climatique, la protection de l’environnement, le rétablissement des services publics et même sur le droit de vote des étrangers. Il faut aussi des conditions stratégiques : c’est la Nupes. Chérissons ce cadre. C’est une bannière commune pour ceux qui se tiennent un peu éloignés des organisations et qui ont pour autant envie de cheminer avec nous. Mais il faut aussi de l’espoir et, là-dessus, nous avons besoin de « cranter » des victoires, de transformer cette opposition en force qui matérialise cette alternative heureuse.
Olivier Faure 32 % de total des voix de gauche, c’est suffisant pour parvenir au second tour, mais ça ne permet pas de gagner. Alors maintenant, il faut s’élargir. La bataille culturelle à mener doit nous permettre d’être compris, entendus, d’être pédagogues parce que c’est parfois compliqué pour des gens qui ont intériorisé la contrainte qui s’exerce sur eux.
Mathilde Panot 32 % des Français votent pour que nous arrivions au pouvoir. Cela nous qualifierait au second tour de l’élection présidentielle. Nous avons un levier très puissant : le monde néolibéral, celui de Macron, ne fait plus rêver. Le nôtre, si. Sous la Ve République, tout le pouvoir est donné au monarque républicain. Dans une VIe République, avec un peuple souverain, nous pourrions taxer les profiteurs de crise, porter le Smic à 1500-1600 euros net, et l’ensemble des salaires augmenterait parce que la majorité du peuple est d’accord avec ces mesures.
Vous appelez à la mobilisation aux côtés des organisations syndicales, les 22 et 29 septembre. Une autre marche est en préparation pour le mois d’octobre avec l’objectif de réunir personnalités politiques et mouvement social. La gauche doit-elle aussi faire entendre sa voix dans la rue ?
Julien Bayou L’absence de majorité des macronistes fait que ce sont eux qui abordent la rentrée avec inquiétude. Mais personne n’imagine que cela sera suffisant. Notre rôle, c’est d’être en appui à la mobilisation des syndicats, de traduire ces revendications en propositions à l’Assemblée. Il n’y a aucune victoire collective, aucun acquis social, acquis féministe ou acquis écologique qui a été gagné uniquement dans les institutions, ou uniquement par la mobilisation dans la rue.
Fabien Roussel Face à nous, une majorité libérale allant de Macron jusqu’à l’extrême droite, en passant par la droite, refuse d’augmenter les salaires et les pensions. Nous, insoumis, écologistes, socialistes, communistes, nous ferons tout ce qu’il faut à l’Assemblée nationale et au Sénat pour mener la bagarre. Mais pour obtenir rapidement – et non pas dans cinq ans – les hausses de salaire que chacun attend, dans le public ou dans le privé, il va falloir être présents dans la rue, par les mobilisations les plus larges, les plus rassembleuses, les plus unies possible. Et c’est pour cela qu’il nous faut mobiliser fortement le 29 septembre.