Devant la Cour internationale de justice, Paris pourfend l’occupation israélienne de la Palestine
Invitée par l’ONU à rendre un « avis consultatif » sur « les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination », la Cour internationale de justice s’est tournée vers ses États membres. Ces textes, confidentiels, seront publiquement plaidés le 19 février 2024 à La Haye. Le mémoire rendu par la France, que l’Humanité a consulté, condamne sans ambages l’occupation et la politique de colonisation.
Monde Elisabeth Fleury L’Humanité
Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations unies saisissait la Cour internationale de justice (CIJ), chargée d’arbitrer les différends entre États, d’une question frontale : « Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ? » Invitée à rendre un « avis consultatif » sur cette question, la CIJ se tournait alors vers ses membres. En juillet, plus d’une cinquantaine de pays lui ont remis leurs copies. Ces textes, confidentiels, seront publiquement plaidés le 19 février 2024, à La Haye.
Le document remis par la France à la CIJ, auquel l’Humanité a eu accès, est un véritable réquisitoire contre l’occupation israélienne. En 25 pages, la direction des affaires juridiques du Quai d’Orsay y dynamite la politique d’expansion territoriale menée depuis 1967 par Tel-Aviv. Une démonstration imparable, nourrie d’une abondante jurisprudence, qui s’inscrit dans la tradition française de défense du droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
Cette position, validée par la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, est officiellement celle de la France. Or, depuis le 7 octobre, les déclarations erratiques d’Emmanuel Macron ont contribué à la rendre illisible. L’amplification des exactions israéliennes, en réponse aux attaques sanglantes du Hamas, rend plus que jamais indispensable d’en livrer les principales lignes.
Paris dénonce l’occupation
« La France souhaite rappeler son attachement à un règlement juste et durable du conflit israélo-palestinien fondé sur le droit international », annonce d’emblée le document. L’objectif est « une solution négociée à deux États, vivant côte à côte en paix et en sécurité au sein de frontières sûres et reconnues, fondées sur les lignes du 4 juin 1967, et ayant l’un et l’autre Jérusalem pour capitale ».
Pour y parvenir, le Quai d’Orsay s’appuie sur les principes mêmes de la charte des Nations unies. Parmi eux, l’« illicéité de toute acquisition de territoire résultant de la menace ou de l’emploi de la force », mais aussi « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Surtout : il reprend le raisonnement suivi par la Cour, qui, dans un avis de 2004, avait condamné l’édification par Israël d’un mur en territoire occupé.
S’agissant du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, « L’existence d’un peuple palestinien ne saurait plus faire débat », pose d’abord la note des diplomates. À ce titre, comme le consacre le droit international, le peuple palestinien dispose du « droit à l’autodétermination ».
Un droit qui se décline politiquement, avec la perspective d’« un État de Palestine indépendant ». Économiquement, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien implique aussi des conséquences. « Israël doit s’abstenir de tout acte qui aurait pour effet d’exploiter, d’altérer, de détruire, d’épuiser et de mettre en péril les ressources et les richesses naturelles du territoire palestinien occupé. »
« Le passage du temps ne suffit pas, en matière d’acquisition de territoires par la force, à rendre licite une situation gravement illicite »Extrait du document français rendu à la CIJ
Près de vingt ans après l’avis rendu sur le mur, le constat du Quai d’Orsay est sans appel : « Le maintien de la situation d’occupation, la multiplication des mesures qui l’accompagnent et le développement des colonies de peuplement forment autant d’obstacles à la réalisation effective du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. »
Le caractère prolongé de l’occupation par Israël de la bande de Gaza et de la Cisjordanie remonte, rappelle le Quai d’Orsay, à la fin de la guerre des Six Jours, en 1967. Depuis cinquante-six ans, sur un territoire qu’il a lui-même déterminé, l’État d’Israël exerce un « contrôle effectif » que le droit international, en principe, encadre et limite.
Première limite : « Le statut d’occupation militaire impose des obligations positives, dont la principale est la protection de populations soumises à cette occupation. » Deuxième limite, « sans qu’il soit possible par définition d’indiquer une durée », ce statut est par nature « temporaire ». Or, non seulement l’occupation d’Israël est « prolongée », mais les colonies qu’il implante dans les territoires palestiniens « paraissent de toute évidence incompatibles avec le caractère nécessairement provisoire de l’occupation ».
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La politique de colonisation des territoires palestiniens, comme le Conseil de sécurité de l’ONU l’a lui-même réaffirmé, le 20 février dernier, « est contraire aux conventions de Genève ». S’appuyant sur ce constat d’illicéité, « la France réitère sa condamnation de la politique de colonisation mise en œuvre par Israël », qui n’a fait que s’accélérer ces dix dernières années, indique la note du Quai d’Orsay.
Or, le droit international est formel : « Le statut de puissance occupante ne confère rigoureusement aucun titre juridique justifiant une annexion » et « le passage du temps ne suffit pas, en matière d’acquisition de territoires par la force, à rendre licite une situation gravement illicite ».
Le document pointe encore les « lois et mesures discriminatoires ». En vertu du droit international, l’occupation d’un territoire impose le respect des droits de l’Homme. « La puissance occupante est, en particulier, tenue d’exercer ses droits et devoirs en tenant compte de l’obligation de non-discrimination », rappelle le Quai d’Orsay. Or les Palestiniens n’ont pas les mêmes droits que les Israéliens. Ils font l’objet, dans ces territoires, d’un « statut séparé ».
Le statut de Jérusalem au cœur des critiques
Les mesures visant à modifier la composition démographique du territoire sont elles aussi mises en cause. L’évacuation « partielle ou totale » d’une région est possible, rappelle le Quai d’Orsay, à condition que « d’impérieuses raisons militaires l’exigent ».
La population ainsi évacuée « sera ramenée dans ses foyers aussitôt que les hostilités dans ce secteur auront pris fin », poursuit la note, qui précise que la convention de Genève limite la destruction de biens mobiliers ou immobiliers aux cas où celle-ci serait « rendue absolument nécessaire par les opérations militaires ».
« Le droit international interdit clairement la mise en œuvre, par la puissance occupante, de mesures qui seraient de nature à modifier la composition démographique du territoire considéré. »
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Le statut de Jérusalem se trouve lui aussi au cœur des critiques françaises. Par une loi du 30 juillet 1980, Israël a fait de Jérusalem sa capitale. Une décision aussitôt qualifiée par le Conseil de sécurité d’« annexion », « au mépris du statut international particulier » prévu depuis 1947 pour cette ville.
« Le statut unilatéral imposé par Israël à Jérusalem est nul et non avenu », estime le Quai d’Orsay, qui englobe Jérusalem-Est dans son analyse. Les Palestiniens qui y résident « ont le statut précaire de résidents permanents, statut qui a été révoqué, depuis 1967, pour 14 000 d’entre eux, au motif qu’ils ne pouvaient démontrer que Jérusalem est ” leur principal lieu de vie“ ».
Ce mémoire s’attaque aussi à l’analyse des conséquences juridiques de toutes ces violations. Dans les territoires occupés, Israël se rend donc coupable de « violations continues du droit international », estime le Quai d’Orsay. Tel-Aviv doit non seulement mettre fin à cette occupation, mais il lui incombe « une obligation de réparation », soit par la « restitution », soit par « l’indemnisation ». Le Quai d’Orsay rappelle enfin « l’obligation » pesant sur Israël et sur la Palestine « de résoudre pacifiquement leur différend en s’engageant dans la voie de négociations de paix ».