Géopolitique du laboratoire
Publié le mardi 8 février 2022
Au secours, nous n’allons plus dominer le monde ! Qui s’inquiète ainsi ? Le National Science Board des États-Unis. De quoi s’inquiète-t-il ? De la perte de « l’hégémonie » – selon le mot de la revue Science – scientifique dont les États-Unis ont bénéficié après 1945, base de sa puissance technologique et donc économique, militaire, diplomatique, culturelle. À quelle occasion ? La publication du dernier rapport de la National Science Fondation qui fait le compte des productions scientifiques et des forces technologiques aux États-Unis et dans le monde.
Ce décompte a longtemps mis en avant l’écrasante domination américaine, le rebond des pays européens après 1970 et la reconstruction post-guerre, la puissance japonaise. Puis, à partir de 1990, un rééquilibrage entre les pays de l’Union européenne et les États-Unis, l’écroulement de la Russie, mais surtout l’émergence de nouveaux pays dont, au premier rang, la Chine. En 2020, cette dynamique est arrivée à un nouveau stade, marqué par une irruption scandaleuse pour Oncle Sam. Les scientifiques chinois affichent 669 000 publications de recherche à leur actif, contre 455 000 pour les Américains (un décompte subtil, capable de distribuer les articles cosignés par des chercheurs de plusieurs pays) sur les près de 2,9 millions du total mondial.
La géopolitique de la science annonce souvent, mais pas toujours, celle de la technologie, de la maîtrise des productions de richesses matérielles et immatérielles, et donc la géopolitique tout court, celle de la puissance des nations. La perte de l’hégémonie états-unienne est plus profonde que celle révélée par les publications de recherche. Elle se lit dans la proportion de scientifiques nés ailleurs qu’aux États-Unis et œuvrant dans ses laboratoires : entre 42 et 60 % pour les sciences de la nature, l’informatique et les mathématiques. Sans cet apport de cerveaux importés, l’affaiblissement serait vertigineux.
Le cri d’alerte lancé par Science vise à obtenir de meilleurs financements publics et privés de la recherche et de l’éducation. Mais le regret qu’il exprime est dangereux. Il révèle l’incapacité à s’orienter vers un monde exempt de confrontations, dont les populations font toujours les frais. Ce monde suppose un partage sincère de la science et des technologies pour les mettre au service du développement humain, et non la recherche d’une domination qui, d’ailleurs, n’est plus dans les moyens des États-Unis.