Barème Macron : nouveau test à la cour d’appel de Paris (L’Humanité)

PROCÈS. NOUVEAU TEST JUDICIAIRE POUR LE BARÈME DES PRUD’HOMMES

Vendredi, 24 Mai, 2019Pierric Marissal

https://www.humanite.fr/proces-nouveau-test-judiciaire-pour-le-bareme-des-prudhommes-672692

La cour d’appel de Paris fut le théâtre jeudi de plaidoiries à l’enjeu social déterminant. Six syndicats se sont évertués à démontrer que le plafonnement des indemnités en cas de licenciement illicite est contraire au droit international.

Jeudi s’est tenue à la cour d’appel de Paris une audience hors norme. Un ingénieur de chez Natixis venait y contester son licenciement, et pas moins de six syndicats se sont saisis de son cas pour réclamer à la justice l’invalidation des barèmes Macron d’indemnités prud’homales au regard du droit international. Le salarié, qui préfère garder l’anonymat, a été mis à la porte pour faute simple en février 2018. « On demande que soit reconnue la nullité de ce licenciement, explique son avocate, Me Caudan-Vila. Mon client était en pleine procédure aux prud’hommes, où il contestait son statut, sous-évalué selon lui. Et le licenciement est intervenu en représailles pendant le délibéré, deux mois à peine après les plaidoiries. »

Là où ce dossier prend une dimension hors norme, c’est qu’il s’agit du premier cas jugé en appel mettant en cause la légalité du plafonnement des indemnités pour licenciement abusif, après une quinzaine de jugements de différents conseils de prud’hommes qui ont décidé de passer outre le barème Macron. La décision du tribunal, attendue le 25 septembre, sera donc particulièrement scrutée. En l’espèce, selon les ordonnances Macron, cet ingénieur de 46 ans, père de quatre enfants, qui justifie de seize années d’ancienneté dans son entreprise, peut escompter au maximum 13,5 mois de salaire d’indemnités. « Or, on estime le préjudice financier déjà subi à 14 mois, sans parler du préjudice moral », rétorque son avocate, qui, en plus de demander la nullité du licenciement, attaque donc le barème.

« Cela se finira certainement en cassation »

Les syndicats se sont engouffrés dans la brèche, apportant la contradiction au ministère public, représenté hier par l’avocat général Antoine Piétri. Ce dernier s’est fait porte-parole du gouvernement, arguant que le barème offrait une fourchette suffisamment large pour laisser au juge la liberté de statuer, et que, en cas de discrimination ou de harcèlement avéré, le plaignant pouvait demander des dommages et intérêts supplémentaires. Il a ensuite clairement politisé son propos, affirmant qu’« apporter aux entreprises de la prévisibilité sur les ruptures de contrat de travail était assurément bon pour l’économie et donc pour l’intérêt général ».

Les avocats du Syndicat des avocats de France (SAF), de la CGT, de FO, de la CFDT, de Solidaires et de l’Union des syndicats antiprécarité se sont succédé, apportant quantité d’arguments complémentaires pour démontrer l’inconventionnalité de ce barème. « Je ne mettrai pas de limites chiffrées à la durée des plaidoiries tant qu’elles sont intéressantes », s’est amusée la juge. Les syndicats se sont escrimés avant tout à prouver que le plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse viole de nombreux droits fondamentaux et textes internationaux, supérieurs juridiquement au droit français.

Ainsi, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), de même que la Charte sociale européenne, prévoient que les licenciements non justifiés doivent ouvrir le droit à « des indemnités adéquates », « des réparations appropriées », et à une réintégration possible dans l’entreprise. « Pour nous, aucun de ces trois points n’est réuni », a tranché l’avocat de FO, qui a avancé également que ce barème portait atteinte au droit à un procès équitable. « Cela sécurise la partie la plus puissante, le patron, contre des risques de dommages et intérêts », a-t-il dénoncé. La représentante de la CGT a renchéri : « Dans le droit international, il est dit que l’indemnité doit être dissuasive, pour protéger les travailleurs contre tout licenciement injustifié, mais si elle est à la fois plafonnée et prévisible, où est la dissuasion ? »

Le montant de ce plafond est d’ailleurs problématique, car il a été calculé sur la moyenne des cas similaires précédents. L’avocate de Solidaires a enfoncé le clou : « Ce barème est un message adressé au patronat, qui lui dit que licencier de manière illicite devient désormais autorisé ! » Gênée aux entournures après ces plaidoiries, l’avocate de Natixis s’est efforcée de discréditer les jugements des prud’hommes, et de rappeler que le tribunal était réuni avant tout pour juger un cas particulier. « Que ce soit de notre fait ou du leur, cela se finira certainement en cassation, pour faire jurisprudence », a estimé à la sortie David Métin, avocat du SAF.Pierric Marissal

mai 24, 2019

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