FRANCE TÉLÉCOM, UN JUGEMENT HISTORIQUE Vendredi, 20 Décembre, 2019

L’Humanité

Vendredi, 20 Décembre, 2019 Cécile Rousseau

Le tribunal correctionnel de Paris a condamné vendredi 20 décembre l’entreprise du Cac 40 et ses principaux dirigeants pour harcèlement moral institutionnel. Un jugement inédit.   Une décision historique.

Vendredi 20 décembre, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu Didier Lombard, ex PDG de France Télécom, son ancien bras droit Louis-Pierre Wenès et Olivier Barberot, ex DRH, coupables de harcèlement moral institutionnel suite au 22 000 suppressions d’emplois du plan Next ayant conduit à une crise massive entre 2007 et 2010 dans l’entreprise. C’est debout, impassibles, qu’ils ont écouté la sentence. Pour ces trois principaux responsables, les peines d’un an de prison dont huit mois avec sursis et 15 000 euros d’amende ont été prononcées, proches du maximum requis par les procureures de la République. La société Orange, ex France Télécom qui comparaissait comme personne morale, est également condamnée à un plafond de 75 000 euros d’amende. Une première pour des dirigeants et un groupe du Cac 40 pour de tels agissements. Et un pas majeur franchi dans la reconnaissance en justice du harcèlement moral systémique. Les quatre autres accusés, Nathalie Boulanger, Brigitte Dumont, Guy-Patrick Chérouvrier et Jacques Moulin, jugés pour complicité de harcèlement moral, ont écopé, eux, de quatre mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende. Il faut dire que les extraits du jugement de 343 pages lus sur un ton solennel pendant une heure devant une salle comble sont implacables. Comme le résume la présidente Cécile Louis-Loyant au travers d’une citation de Jean de La Fontaine : « Il ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés ».  Car dans la mise en place du plan Next entraînant un malaise social dont 39 cas ont été retenus par les magistrats instructeurs (19 suicides), « les dirigeants font le choix d’une politique à marche forcée. » Rien à voir donc avec les départs « volontaires » répétés à l’envi par les prévenus lors des deux mois d’audience de ce procès fleuve. Aucun doute pour le tribunal : « Les moyens choisis pour atteindre l’objectif fixé des 22 000 départs en trois ans étaient interdits. »
Voir aussi : France télécom. Le procès historique de la souffrance au travail

 Le harcèlement moral institutionnel est donc « parfaitement établi »

pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008. « Ces années ont été marquées par l’activation de trois leviers : une pression dans le contrôle des effectifs, la modulation de la rémunération des cadres (en fonction des objectifs de suppressions d’emplois-NDLR) et le conditionnement des esprits des managers. » 

Pour le tribunal, il s’agit bien « d’une politique massive et généralisée, d’actes qui se sont poursuivis et répétés les années suivantes en forçant au départ. » 

Les juges ont en revanche estimé que la période de l’explosion médiatique de la crise à l’été 2009, avec notamment le suicide de Michel Deparis, ne pouvait être retenue, même s’ils reconnaissent que les répercutions de Next ont continué. Quant aux trois principaux accusés, « qui ont reporté systématiquement la culpabilité sur la hiérarchie intermédiaire », le constat est clair : « leur rôle a été prééminent ». Ils ont mené “une politique d’entreprise issue d’un plan concerté pour dégrader les conditions de travail des agents de France Télécom fin d’accélérer leurs départs définitifs de l’entreprise”. A la sortie, les avocats des parties civiles n’ont pas caché leur satisfaction. maître Sylvie Topaloff estime que “C’est un grand moment d’émotion pour l’ensemble des victimes. Le harcèlement moral peut être le résultat d’une politique d’entreprise”.

Pour Patrick Ackermann, représentant de Sud-PTT qui avait déposé plainte en septembre 2009, enclenchant la procédure : “Après dix ans d’attente, c’est quand même un soulagement, cela va faire jurisprudence. Pour nous, ce procès est un point de départ.” Raphaël Louvradoux, fils de Rémy Louvradoux, fonctionnaire qui s’était immolé le 26 avril 2011, salue, lui, le renversement de situation : « Les prévenus sont arrivés détendus au procès. La peur doit changer de camp (…) Les mots de la présidente qui dit que les moyens utilisés par les prévenus sont “interdits”, c’était le sens de ce procès. Cela doit être le début d un changement.” 

De leur côté, les avocats de la défense ont déclaré qu’ils allaient interjeter appel. Pour maître Jean Veil, conseil de Didier Lombard, «  Cela n’a pas de fondement juridique. C’est totalement démagogique. » Seule Orange a confirmé qu’elle ne ferait pas appel. Les victimes qui se verront donc infliger un nouveau procès devraient toutefois percevoir plus de 3 millions d’euros de dommages et d’intérêts versés solidairement dès le début d’année prochaine. « On espère que cette décision aura un caractère d’exemplarité, explique Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC, même si ça ne fera pas revenir nos collègues disparus

décembre 21, 2019

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