Présidentielle 2022. Réunion de la gauche : une salle, deux ambiances
Lundi 19 Avril 2021 Emilio MesletCyprien Caddeo L’Humanité
Un pacte de « respect mutuel » a été conclu entre les forces progressistes, réunies samedi. Mais l’empressement de l’écologiste Yannick Jadot et du Parti socialiste à avancer sur une candidature commune est venu réveiller les tensions.
Droit comme un « i » dans son col roulé bleu et son blazer gris, Yannick Jadot savoure son moment. Sur le perron de l’hôtel Holiday Inn, au bord du canal de l’Ourcq (Paris 19e), tel un chef d’État lors d’un sommet international, l’eurodéputé EELV accueille d’un « check » du coude la vingtaine de responsables de gauche qu’il a conviés pour un conclave. Entourés d’une foule de journalistes, les socialistes Anne Hidalgo et Olivier Faure, le communiste Ian Brossat, l’insoumis Éric Coquerel et les membres du Pôle écologiste – Julien Bayou, Éric Piolle, Benoît Hamon, Corinne Lepage et Sandrine Rousseau –, ainsi que les représentants d’autres partis plus modestes s’engouffrent, tour à tour, dans le bâtiment. En ce samedi 17 avril, c’est le jour du grand rendez-vous des forces de la gauche pour évoquer l’épineuse question du rassemblement, et le maître des horloges s’appelle Yannick Jadot.
« Le début d’un travail en commun, pas une fin »
Autour de la grande table ovale, rendue obligatoire par les restrictions sanitaires, les échanges débutent vers 10 heures. Quelques photos viennent immortaliser cette réunion que certains souhaitent historique, à un an d’une présidentielle où on prédit une gauche totalement balayée par Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Chacun prend la parole environ quatre minutes, et Laurence Tubiana, ancienne négociatrice de la COP1, anime la discussion. « On s’écoute bien, c’est franchement une très bonne réunion », glisse par SMS l’un des intervenants, heureux de voir que, même si « tout le monde n’est pas d’accord », des « convergences » sont possibles.
Le porte-parole du PCF, Ian Brossat, est venu dire que la gauche « gagnerait collectivement à se concentrer sur les questions qui préoccupent les classes populaires, comme l’emploi ou la désindustrialisation ». Il a également affirmé qu’il faut travailler à « un contrat de mandature basé sur un accord législatif qui ne soit pas conditionné à un accord pour la présidentielle ». Le représentant de la FI, Éric Coquerel, a, lui, présenté « des pistes sur le partage des richesses, du temps de travail », promu « l’idée d’une VIe République » et le besoin de mener des « mobilisations communes ». Il a même proposé d’organiser la prochaine réunion au siège de son mouvement. Ce que l’audience a rejeté, préférant rester en terrain neutre. Le radical de gauche Guillaume Lacroix a évoqué la question de la laïcité, et Anne Hidalgo a souhaité une trêve sur la question pour s’intéresser davantage aux problématiques sociales. Et, comme attendu, Yannick Jadot a proposé un « contrat de gouvernement », approuvé par Olivier Faure. Bref, chacun a débarqué avec son agenda et a pu l’exposer aux autres.
Devant l’hôtel, les journalistes et les curieux se massent. L’attente est longue, d’autant plus que la réunion se prolonge. Elle devait initialement prendre fin à 12 h 30 mais ne s’achève vraiment qu’une grosse demi-heure plus tard, à la faveur d’un « second tour de table informel », explique en temps réel l’un des participants. L’objectif : trouver ce qu’ils vont bien pouvoir dire à la presse en sortant. Lorsque les portes s’ouvrent, ils font quelques mètres ensemble pour les caméras, avant de se disperser pour livrer aux médias la teneur des discussions. « Ce n’était pas inintéressant, il n’y a pas eu un mot plus haut que l’autre »,observe Emmanuel Maurel, de la Gauche républicaine et socialiste (GRS). Et le député et candidat écologiste aux régionales en Pays de la Loire, Matthieu Orphelin, d’abonder : « Aujourd’hui est le début d’un travail en commun, pas une fin. » « Ce qui unit les partis de gauche est plus fort que ce qui les désunit », veut croire la députée (ex-LaREM) Émilie Cariou.
Au vu des divergences de fond assumées sur le libéralisme, l’Europe ou la laïcité, on a compris depuis longtemps que cette rencontre ne suffirait pas à tous les réunir derrière une même bannière. « Ce n’est pas possible de se mettre d’accord sur un nom en une matinée », explique Benoît Hamon. Évoquer le « qui » avant le « quoi » serait d’ailleurs « la pire manière de commencer », pense Julien Bayou. Il n’y a donc « pas de fumée blanche » à l’issue du huis clos, mais « pas de bras de fer » non plus, résume le secrétaire national d’Europe Écologie-les Verts.
La discussion aura au moins permis un accord sur trois points afin de ne pas laisser à la droite le monopole culturel dans le pays. « On est d’accord pour mener des mobilisations ensemble, souligne Éric Coquerel, qui remplaçait Jean-Luc Mélenchon, absent pour cause de voyage en Amérique latine. Sur la réforme de l’assurance-chômage, par exemple. » Ensuite, les différents interlocuteurs se sont accordés sur la nécessité de débattre publiquement de leurs divergences idéologiques, plutôt que de s’écharper par réseaux sociaux et médias interposés. « On peut au moins espérer se concentrer sur les vrais sujets qui préoccupent les classes populaires et arrêter les invectives », se réjouit Ian Brossat.
Dans le même ordre d’idées, a été conclu un « pacte de respect mutuel », afin d’adopter une réponse commune en cas d’attaque venue de la droite ou de l’extrême droite. Sur les multiples procès en islamo-gauchisme, par exemple. Tous ont aussi convenu d’une nouvelle réunion « fin mai », intégrant des collectifs citoyens. « La politique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux partis »,estime Sandrine Rousseau.
Mais l’unité s’est rapidement fissurée. La « photo de famille », censée marquer le coup de la première réunion de la gauche pour 2022, illustre parfaitement ce qui s’est joué en marge de ces trois heures d’échange. Pour cause, elle est incomplète : l’insoumis Éric Coquerel et le communiste Ian Brossat ont préféré se tenir à l’écart. Et une partie de ceux qui y figurent doivent être soulagés de porter le masque pour ne pas avoir à afficher de sourire de façade.
Olivier Faure prend tout le monde de vitesse
Il y a au moins un heureux sur le cliché. Dos au canal, Yannick Jadot prend la pose plein centre, au premier plan, flanqué du premier secrétaire du PS, Olivier Faure, et de la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo. Le rassemblement, oui, mais de la grande famille sociale-démocrate, faut-il comprendre. Car, si l’idée d’union a progressé, c’est d’abord et surtout entre l’eurodéputé, suivi par une partie du Pôle écologiste, et les socialistes et leurs alliés, que l’avancée est majeure. La composition de cette table ronde en était déjà le signe : la FI et le PCF n’ont eu qu’un seul représentant chacun, quand le Pôle écologiste a eu le droit à huit ambassadeurs, dont quatre EELV, le Parti socialiste, cinq, et les anciens soutiens de Macron, quatre.
Si les discussions ont été franches et courtoises, selon l’ensemble des partenaires, certains ont affirmé à l’Humanité avoir eu la sensation de s’être fait entourlouper par une manœuvre entre l’hôte écologiste et les socialistes. « Il y avait deux réunions en une », constate l’un eux. Au terme des échanges, Yannick Jadot a en effet déclaré qu’un « processus avec celles et ceux qui veulent s’engager pour une candidature commune, un contrat de gouvernement et un projet » était sur les rails et qu’il devrait aboutir à la fin de l’été. « Nous devons proposer une coalition commune cet automne. Nous avons besoin de construire cette offre politique et nous allons y travailler », abonde Anne Hidalgo.
Jusqu’ici, tout va encore bien. Mais c’était avant qu’Olivier Faure, offensif, ne prenne tout le monde de vitesse en annonçant à FranceInfo : « Dans un an, il y a aura pour les écologistes, les socialistes, les radicaux, Place publique, Nouvelle Donne et Génération.s un candidat et un projet communs. C’est l’engagement que chacun a pris ce matin. Nous allons commencer par un projet commun, que nous finaliserons à la fin de l’été ou au début de l’automne prochain. » Puis viendra le temps du casting, avec plusieurs hypothèses, « une primaire, une convention citoyenne, des sages qui se réuniraient », pour désigner le ou la candidate. « La France insoumise et le Parti communiste auront leur candidat, c’est respectable, mais cela ne doit pas empêcher les autres d’avancer », ajoute le député de la Marne. Et tant pis, donc, si une partie de la gauche, insoumis et communistes en tête, reste en bord de route. « Jadot, Faure et Hidalgo se sont mis d’accord en amont, c’est sympa, mais dans ce cas, ce n’était pas la peine de nous inviter », raille un responsable politique.
Les écologistes ne veulent pas tomber dans le piège de Jadot
« Un, ce n’est pas ce qui sort en commun de cette réunion et, de deux, beaucoup des présents, notamment du Pôle écologiste, ont refusé de s’enfermer avec le PS pour une candidature de centre gauche », rétorque Éric Coquerel au socialiste. « Le problème de la gauche, ce n’est pas tant la candidature commune, c’est qu’elle ne parle qu’à un Français sur quatre, et qu’elle ne parle pas des préoccupations quotidiennes, du pouvoir d’achat, de l’emploi… » s’agace le porte-parole du PCF, Ian Brossat. Avant d’ajouter : « Un ticket PS-EELV, on a déjà vu cela en 2017 et on a vu ce que ça a donné. » Un stratège présent au rendez-vous analyse : « Ni Jadot ni Hidalgo n’envisage de se ranger l’un derrière l’autre. Et si la sortie d’Olivier Faure (dont on sait qu’il aimerait voir Anne Hidalgo porter une alliance socialo-écologiste – NDLR) visait peut-être à piéger Yannick Jadot pour le mettre en difficulté au sein de son parti ? »
Toujours est-il que le résultat est là : les premiers surpris ont été les écologistes eux-mêmes, puisqu’une primaire écologiste, à laquelle Yannick Jadot doit participer mais dont il voudrait bien s’affranchir, est prévue fin septembre. Formellement, l’eurodéputé se veut le chantre du dépassement, mais il souhaite surtout dépasser, par la droite, sa « famille » écologiste, qui risque de ne pas lui confier l’investiture. Chez les autres candidats putatifs, cette tentative de tordre le bras à la direction d’EELV passe mal. « Si on repart sur un mandat Hollande mais verdi, on ne sera pas à la hauteur des enjeux. Je ne vais pas renoncer aujourd’hui si je pense que les dés sont pipés pour des ambitions personnelles plutôt que l’intérêt général », réagit l’écologiste Sandrine Rousseau. Le maire EELV de Grenoble, Éric Piolle, a quant à lui quitté la réunion en avance, officiellement pour prendre un train, et est donc absent du cliché : « Vous rajouterez ma tête », plaisante-t-il avant d’affirmer que la gauche « n’a jamais été aussi proche sur le fond ».
Parmi les cadres, l’ambiance n’est guère meilleure : « À ce stade, on peut dire que le PS ment pour essayer de récupérer la main après une présidence Hollande désastreuse », fustige Jérôme Gleizes, de l’aile gauche d’EELV. Mis sous pression, le secrétaire national, Julien Bayou, tempère : « Tant mieux si Olivier Faure se dit disponible pour discuter. Mais nous n’avons pas acté de candidature commun e. Il y aura une candidature du Pôle écologiste en 2022, et on pense qu’il faut une large coalition. Ce n’est pas incompatible. » Pour lui, lorsque Yannick Jadot prétend qu’il faut un candidat commun à la fin de l’été, « c’est une manière pudique de dire qu’il y aura un candidat écologiste, soutenu par le PS dans le cadre d’une large coalition ».
Mais ce coup d’accélérateur orchestré par Jadot et Faure a surtout confirmé le fait que les partis veulent maintenant reprendre la main en mai pour donner le tempo : ils seront cette fois aux manettes.À gauche, les potentiels candidats sont nombreux
Pour le moment, seule la France insoumise a officiellement investi son candidat à la présidentielle en la personne de Jean-Luc Mélenchon, qui vivra sa troisième campagne pour l’Élysée. Les communistes s’apprêtent, le 9 mai, à faire de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, leur candidat en 2022. Le premier depuis Marie-George Buffet en 2007. Même si Yannick Jadot voudrait s’en passer, la direction d’Europe Écologie-Les Verts tient à ce qu’une primaire ait lieu au sein du Pôle écologiste, composé de cinq partis dont Génération.s. Elle se tiendra fin septembre et trois candidats sont plus ou moins dans les starting-blocks : Éric Piolle, Sandrine Rousseau et Yannick Jadot. Le Parti socialiste a, de son côté, commencé à travailler sur son projet présidentiel, mais continue d’appeler à une candidature commune par la voix de son premier secrétaire, Olivier Faure. En interne, beaucoup poussent pour qu’Anne Hidalgo, la maire de Paris, se lance dans la course. Elle-même y penserait fortement. Par ailleurs, certains prêtent également des ambitions élyséennes à l’ancien ministre Arnaud Montebourg, qui n’appartient aujourd’hui à aucune formation.gaucheparti socialisteeelvpcflfiprésidentielle 2022