Les perdants de la future réforme des retraites donnent de la voix
Entre le recul de l’âge légal de départ à 65 ans et la fin programmée des régimes spéciaux, la réforme imaginée par le candidat Emmanuel Macron va toucher de nombreux travailleurs déjà soumis à des conditions de travail difficiles.
Publié leVendredi 25 Mars 2022 Cécile RousseauCyprien Boganda
Qu’il semble loin, le temps où un certain Emmanuel Macron, candidat à la présidentielle de 2017, s’engageait à ne pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite ! « Il restera à 62 ans ! » martelait-il alors, soulignant dans son programme l’ineptie économique d’un éventuel recul. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et le Macron 2022 semble décidé à enterrer la promesse faite par celui de 2017. Le président-candidat a prévenu : s’il est réélu, l’âge légal de départ passera de 62 à 65 ans en 2034. Et de façon abrupte. Si le projet de réforme Delevoye-Philippe, mis en échec par les mobilisations en 2019 et 2020, se donnait dix ans pour se mettre en place, ne touchant que les générations 1975 et suivantes, celui présenté il y a huit jours commencera à s’abattre sur les personnes nées dès 1961. Tant pis si celles-ci pensaient déclencher leurs droits à pension l’an prochain, dès 62 ans : elles devront travailler quatre mois de plus. Chacune des générations suivantes, jusqu’à celle de 1969, se verra accablée d’un trimestre supplémentaire à cotiser, afin de parvenir à l’officialisation du nouvel âge légal de départ à 65 ans, en 2034.
Aucune urgence économique
Cette réforme est d’autant plus brutale qu’elle n’est justifiée par aucune urgence économique (lire notre entretien). Le Conseil d’orientation des retraites (COR) le rappelait en juin 2021 : « Malgré le contexte de la crise sanitaire et le vieillissement progressif de la population française, les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon de la projection, c’est-à-dire 2070. »
Valérie Pistone craint de se retrouver prise au piège de ces nouvelles bornes d’âge. Née en 1965, l’infirmière à l’hôpital gériatrique René- Muret à Sevran (Seine-Saint-Denis) n’imagine pas une seconde pousser son activité jusqu’à 65 ans : « Cette mesure s’inscrit dans un quinquennat injuste pour les soignants et ne prend absolument pas en compte le quotidien professionnel des gens », tacle celle qui est aussi syndicaliste SUD santé. La quinquagénaire avait initialement envisagé son départ pour 2025. En 2012, elle avait choisi de passer en catégorie A de la fonction publique avec une retraite portée à 60 ans. Un effort consenti pour percevoir un meilleur salaire. D’autres infirmières sont restées en catégorie B (catégorie active) et ont conservé la possibilité de départ à 57 ans. « Je me suis assise sur la pénibilité à ce moment-là, je n’aurais peut-être pas dû », glisse-t-elle, en précisant bien que les primes des infirmières ou de week-end ne rentrent pas dans le calcul de la pension.
Miser sur la formation et l’embauche des jeunes
Alors que les tâches administratives se sont multipliées pour coller à l’impératif de rentabilité et que le quotidien s’est alourdi avec le Covid, Valérie est épuisée : « On y laisse notre santé, donc on aimerait bien profiter de notre retraite. Quand on s’occupe des autres, il faut être en forme ! D’ailleurs, je ne fais pas des actes, mais des soins. L’interaction avec le patient est essentielle, surtout pour les personnes âgées. » À rebours de la future réforme, la soignante souhaiterait plutôt que les personnes proches de la retraite puissent diminuer leurs heures et qu’en retour, un jeune soit formé puis embauché.
Chez d’autres spécialistes du soin, le corps a déjà lâché. Fabienne Montet, aide à domicile de 53 ans, souffre de multiples pathologies apparues dans l’exercice de son travail-passion : tendinite du bassin, arthrose aux deux genoux, hernie discale… « On est seul pour effectuer les transferts du lit au fauteuil avec des personnes qui n’ont souvent plus aucune autonomie. On est auxiliaire de vie, femme de ménage… Le métier est très physique, comme celui d’assistante maternelle que j’occupais avant. » En arrêt maladie depuis un an et en parcours de reconnaissance de maladie professionnelle, elle envisage une reconversion dans un métier administratif. Pourtant, selon ses calculs, Fabienne ne pourrait prétendre à une retraite complète qu’à 67 ans, avec un montant de misère. « J’ai travaillé à temps plein puis à temps partiel pour m’occuper de mes trois enfants, le tout payée un peu plus de 8 euros de l’heure, soit le Smic ! s’indigne-t-elle. Je devrais toucher 1 000 euros de pension. Je vis comment avec cette somme, compte tenu de l’augmentation des prix ? Sans mon mari artisan, je ne m’en sortirais pas. Plutôt que de subir la réforme d’un président installé bien au chaud dans son bureau, j’attendais une augmentation de salaire et la reconnaissance de la difficulté de notre travail. »
L’usine à gaz du compte professionnel de prévention
Dans le secteur du bâtiment, cet éloignement de l’âge légal de départ paraît aussi inconcevable. Si la pénibilité des tâches n’est plus à démontrer, leur reconnaissance concrète reste compliquée. Le compte professionnel de prévention (ex-compte pénibilité) a tout d’une usine à gaz. « Quatre critères de pénibilité ont été supprimés par Emmanuel Macron, comme l’exposition à des vibrations et le port de charges lourdes. Pour les critères restants, on nous répond qu’on ne peut pas toujours mesurer l’impact réel sur le salarié », déplore Ali Tolu, représentant CGT au comité de groupe de Vinci.
Tenir jusqu’à 62 ans relève déjà de l’exploit. « Comme les patrons proposent rarement des postes aménagés, à 55 ans, de très nombreux collègues finissent licenciés pour inaptitude avec juste les indemnités légales. Beaucoup d’anciens, partis en retraite, sont tombés malades quelques mois après et sont décédés, dénonce Seyfettin Kurnaz, représentant de FO dans l’entreprise Dodin Campenon Bernard.
Une impression de bis repetita de 2019
Décidé à ignorer les particularités inhérentes aux métiers, l’actuel locataire de l’Élysée a réaffirmé sa volonté de supprimer les régimes spéciaux. Ciblés explicitement, les agents de la RATP ont une impression de bis repetita de l’année 2019. « Notre régime nous donne théoriquement le droit de partir à 52 ans avec vingt-sept années d’ancienneté pour les conducteurs et à 57 ans pour les agents de maintenance, rappelle Pierre Yaghlekdjian, délégué syndical CGT. Dans les faits, c’est très compliqué car l’impact des réformes précédentes s’amplifie avec le temps. Tout cela vise à réduire le montant des pensions car aucun conducteur ne restera jusqu’à 65 ans au volant, en horaires de nuit, en repos décalé… »
En grève ce vendredi contre la dénonciation des accords sur les conditions de travail par leur direction en vue de la privatisation du réseau bus, les conducteurs refusent de travailler, entre autres, une heure de plus par jour. Une mobilisation qui devrait en appeler bien d’autres en cas de réélection du président de la République.