En France, le Cnes sonne l’alarme

Publié leMardi 3 Mai 2022 Sylvestre Huet

Il n’est pas courant qu’une communauté scientifique presque entière interpelle le pouvoir politique. C’est pourtant ce qui vient de se passer avec un texte signé par 1 000 – le chiffre est symbolique – chercheurs et ingénieurs d’une centaine de laboratoires (1). Tous impliqués dans l’utilisation des technologies spatiales – fusées et satellites – pour l’observation de la Terre et de l’Univers.

Leur texte sonne l’alarme : « La situation a dramatiquement changé ces derniers mois , avec l’apparition d’une contrainte très forte exercée sur le budget du Cnes (Centre national d’études spatiales – NDLR) alloué à la science qui met en péril la place de la France dans la recherche spatiale : dans la thématique “Étude et observation de la Terre”, il n’y a actuellement aucune capacité d’engagement de nouvelles missions scient ifiques jusqu’en 2026 ; côté science de l’Univers et exploration, le risque est très grand de devoir abandonner des projets déjà démarrés. À courte échéance, les laboratoires français vont ainsi devoir se désengager de plusieurs projets internationaux de premier plan scientifique et technologique, rompant un partenariat établi de longue date avec les plus grandes agences spatiales internationales.  »

La colère des scientifiques est partagée par un grand nombre des salariés de l’Agence spatiale française. Elle s’est traduite par un mouvement de protestation sans précédent sur les sites de Toulouse et au Centre spatial guyanais contre la décision gouvernementale d’arroser d’argent public, via le budget du Cnes, des start-up dont certaines ne sont que des coquilles vides. Et comme ce budget n’est pas extensible, ce choix s’opère au détriment des programmes scientifiques.

Ce tournant veut suivre le « New Space » venu des États-Unis, un mouvement de privatisation d’où sortent les délirants, coûteux et obscènes voyages de touristes ­super-fortunés pour un petit saut spatial, vers la station spatiale internationale et peut-être demain des hôtels pour multimillionnaires. Ou les projets de constellations à plusieurs milliers de satellites susceptibles de rapporter des profits au prix d’un encombrement non maîtrisé des orbites basses.

La politique spatiale dont ont besoin les citoyens est à l’opposé. Par l’usage le plus pertinent possible de ses possibilités pour étudier la Terre et l’Univers, et la coopération européenne pour financer l’accès à l’espace. Un sujet qui relève du prochain gouvernement… mais aussi de la future Assemblée nationale, qui vote le budget du Cnes.(1) Tribune parue dans le Monde du 26 avril.

mai 15, 2022