Régularisation. « Si tu te plains, tu n’as plus de travail : ils savent qu’on n’a pas de papiers » L’Humanité

Jeudi 28 Octobre 2021Luis Reygada

https://www.humanite.fr/regularisation-si-tu-te-plains-tu-nas-plus-de-travail-ils-savent-quon-na-pas-de-papiers-725643

Heures supplémentaires non rémunérées, pratiques louches… En grève, les salariés sans papiers de l’entreprise Sepur dénoncent leur surexploitation.

Sepur, « employeur responsable » ? Sur son site Internet, ce groupe s’occupant de la collecte des déchets ménagers en Île-de-France soigne son image de marque. Des salariés tout sourires y racontent des conditions de travail idylliques, entre souplesse et « ambiance zen ». Pourtant, ce n’est pas ce que nous avons pu observer hier, à l’entrée du site industriel de Pavillons-sous-Bois, en banlieue parisienne (Seine-Saint-Denis). Les salariés présents, tous d’origine africaine, montrent une tout autre réalité. Soutenus par la CGT, ils font partie des 300 travailleurs sans papiers qui occupent leurs entreprises sur différents sites de la région, dans le cadre d’un mouvement de grève visant à obtenir leur régularisation administrative. Mahamadou B., 28 ans, vient du Mali et a commencé à travailler pour Sepur comme éboueur en février 2020, juste avant le premier confinement. Comme la cinquantaine de collègues qui l’entourent, il dénonce des conditions de travail difficiles. «  J’étais censé faire des semaines de 35 heures pour un salaire moyen de 1 400 euros par mois, mais ça arrivait souvent qu’on me demande de rester plus longtemps… Ces heures supplémentaires n’étaient pas toujours payées. On peut faire des semaines de 50 heures sans que ça se voie sur le bulletin de paye. Si tu réclames, ils ne te donnent plus de travail : ils savent qu’on n’a pas de papiers et qu’on ne peut pas aller se plaindre. » D’autres témoignages mettent en lumière des pratiques tout aussi illégales. «  On doit parfois payer le chef d’équipe pour qu’il nous donne du travail. Ça peut monter jusqu’à 200 euros pour être embauché  », nous explique un de ses camarades.

« On est à la limite de l’esclavagisme »

Une voiture de police s’installe en face des manifestants qui campent devant l’entrée du site tandis que d’autres grévistes bloquent l’entrée et la sortie des camions bennes à ordures. Ils sont accompagnés d’une trentaine de membres des unions départementales et locales de la CGT ainsi que d’élus locaux du PCF. « Notre groupe politique soutient pleinement leur combat  », assure Frédéric Fioletti, conseiller municipal communiste de la ville voisine de Bobigny. «  Il n’est pas exagéré de parler de surexploitation ; on est à la limite de l’esclavagisme, c’est un vrai scandale », pour Didier Mignot, conseiller régional.

Mégaphone et musique entraînante maintiennent une ambiance bon enfant malgré le poids des griefs exprimés contre Sepur, dont la direction s’est jusqu’à maintenant refusée à délivrer les documents qui permettraient de régulariser la situation des protestataires.

De l’autre côté du grillage, un chef d’équipe réfute les allégations portées contre son entreprise. «  Pas de corruption ; tous nos employés ont leurs papiers ; aucun de ces manifestants ne travaille pour nous. » Il est pourtant contredit sur ce dernier point par deux de ses collègues croisés quelques rues plus loin. En réalité, Sepur utilise des intermédiaires pour faire travailler les sans-papiers. «  Ils sont tous intérimaires », explique Jean-Albert Guidou, responsable du collectif Travailleurs migrants de la CGT 93. Il n’hésite pas à dénoncer un « système  » mis en place avec des agences d’intérim, pour garantir une flexibilité absolue et sans responsabilité pour Sepur. Néanmoins, les grévistes sont bien résolus à obtenir gain de cause, et l’annonce, hier soir, de la victoire de leurs camarades intérimaires face à l’agence Planett – qui s’est engagée à fournir les documents nécessaires aux demandes de régularisation – ne fait que renforcer leur détermination.

octobre 28, 2021