SANTÉ. AGNÈS BUZYN ET LA POLITIQUE DE LA CHAISE VIDE Mercredi, 12 Juin, 2019

Sylvie Ducatteau, l’Humanité

Alors que le mécontentement gagne tous les services hospitaliers publics, en grève hier, à l’appel d’une intersyndicale CGT, FO et SUD, la ministre de la Santé n’a pas daigné recevoir la délégation des soignants et urgentistes venus de toute la France pour la rencontrer.

Rassemblés devant le ministère de la Santé, les personnels hospitaliers espéraient un geste d’Agnès Buzyn. Une rencontre, en face-à-face, au moins, avec leurs organisations syndicales et le collectif Inter-Urgences, ce qui depuis le début du conflit, il y a quatre mois, ne s’est jamais produit. Comme jeudi dernier, pour les urgentistes, non seulement la ministre était absente mais aucune des revendications des soignants n’a été satisfaite, juste une petite concession, sans certitude d’ailleurs, est envisagée sur le montant d’une prime de risque pour les agents des urgences. Le gouvernement promettait 90 euros, ce devrait être un peu plus. « La ministre veut nous diviser. Pour les uns, c’est la prime de risque, pour les autres, la prime de pratiques avancées, enfin pour d’autres encore, c’est une prime de coopération », déplorait le responsable du syndicat SUD, à sa sortie du ministère. Déception également partagée par la CGT et Force ouvrière. « Rien contre l’indigence salariale », a commenté FO, rappelant qu’en matière de salaire infirmier la France se place au 26e rang sur les 29 pays de l’OCDE. La CGT, qui demande l’organisation de « Grenelles sur les effectifs » qui concerneraient tous les secteurs : hôpitaux, Ehpad, psychiatrie et soins à domicile, a également déploré « qu’aucune réponse tangible n’ait été apportée à (sa) demande d’un moratoire contre les fermetures de lits hospitaliers ».

Les manifestants étaient venus défendre trois mesures d’urgence : la création de 100 000 emplois dans les hôpitaux publics, dont 10 000 aux urgences et 40 000 dans les Ehpad ; l’arrêt des suppressions de lits dans les services ; et une augmentation des salaires de 300 euros, soit l’équivalent de 60 points d’indice, quasi gelés depuis des années. « Je comprends que ce soit une reconnaissance. Mais quand la préoccupation est purement salariale alors que ça dysfonctionne… Sincèrement, les problèmes ne vont pas se régler parce que je paye davantage », a déclaré Agnès Buzyn, lundi soir sur BFMTV. Ces propos ont fait sortir de ses gonds Sandrine, infirmière à Mantes-la-Jolie (Yvelines). « Dire que nous percevons une prime de risque alors que c’est faux. Ou encore tenter de rassurer les patients en expliquant qu’ils n’ont rien à craindre car nous avons l’obligation de soins, c’est désolant. Ces mots m’ont blessée. Je ne suis pas syndiquée et je suis venue au rassemblement car il m’était impossible de rester chez moi. J’avais besoin d’être là. » La jeune femme, en blouse bleue et masque autour du cou, brandit timidement une toute petite pancarte. « C’est ma fille qui me l’a faite », précise-t-elle, un large sourire aux lèvres. Mais il disparaît lorsqu’elle évoque les 300 patients accueillis par jour dans son service. 45 000 à l’année par une équipe, dans des locaux prévus pour 17 000. « Très régulièrement, 10 ou 12 patients sont hospitalisés dans les couloirs où ils restent des heures. Nous perdons notre humanité. Et puis les erreurs de diagnostic sont inévitables. Nous et les médecins courons pour prendre en charge au plus vite un maximum de patients », regrette-t-elle. Des études montrent en effet que les erreurs sont plus nombreuses aux urgences qu’ailleurs. Jusqu’à 5 % des diagnostics posés.

« On nous prépare une crise sanitaire »

Hier, une centaine de services d’urgences étaient en grève touchant toutes les régions : Bretagne, Normandie, Centre et Midi de la France, l’Île-de-France. Des délégations avaient rejoint la capitale, venues de Marseille, de Vierzon, du Jura… Le mouvement gagnant d’autres secteurs : « Notre système de santé est à bout de souffle. Les urgences sont un iceberg », expliquait un aide-soignant de l’hôpital Cochin à Paris. Dans cet établissement, les services de gastro-entérologie et d’hématologie sont en grève, le premier depuis une semaine, le second depuis quinze jours. « Il faut stopper l’ambulatoire. On en est au point où on attend les décès pour récupérer des lits », a-t-il poursuivi au mégaphone. En attendant le retour de la délégation, les témoignages se sont succédé, à faire froid dans le dos des patients. Un aide-soignant des urgences psychiatriques de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre évoque un malade écarté de l’un des rares lits de cardiologie encore libre car jugé « trop âgé ». Ou encore une dame centenaire hospitalisée quatre jours sur un brancard. « J’aime mon métier mais là… » conclut-il. « On nous prépare une crise sanitaire », s’inquiétait Maryvonne Roux, de Vierzon, où la maternité a été sauvée in extremis de la fermeture, le 11 juin 2018, il y a tout juste un an. « Stop à l’usine à humains », le slogan tracé au feutre sur le tee-shirt de Nathalie, infirmière urgentiste, venue avec quatre de ses collègues de l’hôpital Sainte-Musse à Toulon (Var) venait en écho aux propos de l’aide-soignant et en dit long sur la profonde exaspération des hospitaliers. Aucun n’est prêt à accepter des demi-mesures. Celles de la ministre de la Santé. Celles également du directeur général de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) d’où est partie la grève, promettant des créations de postes dans les services en surchauffe. « Il faut sortir des plans d’économies «. À l’AP-HP, ce sont 800 à 1 000 emplois par an pendant quatre ans qui devraient être supprimés. » Comment tenir ? «, a commenté Rose May Rousseau, secrétaire de l’Usap-CGT.Sylvie Ducatteau

juin 13, 2019

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